Le christianisme laïc de Pierre Bayle

Pierre Bayle (1647-1706) est une figure centrale de l'histoire de la tolérance, notamment pour avoir formulé certains des premiers arguments en faveur d'un État qui tolère les hérétiques, les païens et les athées. Cet article soutient que la théorie de la tolérance de Bayle jette les bases de la laïcité au sein d'un état chrétien. Dans la première partie, je définirai la laïcité à l'aide de Charles Taylor qui distingue entre deux types de laïcité, soit le « secularism A » qui cherche à atteindre une neutralité en limitant l'expression religieuse en public, et le « secularism B » qui protège une diversité des religions de manière équitable dans l’espace public. En m’appuyant sur ces concepts de Taylor, j’adresse les controverses récentes au Québec dont la loi 21 qui interdit les symboles religieux dans certains milieux de travail publics, et le retrait du crucifix de la chambre législative de l’Assemblé nationale du Québec. Dans la deuxième partie de cet article, je soutiens que Bayle a développé deux arguments suivant de près le concept de « secularism B », et ce, en utilisant la doctrine religieuse chrétienne. Dans ses Pensées diverses (1682), Bayle utilise la doctrine du péché originel, et dans son Commentaire philosophique (1686), Bayle utilise la doctrine de l'imago Dei. Finalement, j'espère démontrer que c’est dans le contexte de l'État confessionnel que Bayle développe une théorie de la laïcité, stipulant qu’un État peut embrasser une religion dominante particulière, et dans un même temps, défendre les droits de tous les citoyens et permettre leur propre liberté d’expression religieuse dans l’espace public. [Pierre Bayle (1647-1706) is a central figure in the history of toleration, especially known for formulating some of the first arguments advocating toleration for heretics, pagans, and atheists. This paper will argue that Bayle laid down a groundwork for secularism from within a confessional Christian state. In the first portion, I will define secularism using the work of Charles Taylor who distinguishes between “secularism A” which attempts to attain neutrality by limiting public religious expression, and “secularism B” which equally protects a diversity of religious expression in the public sphere. In defining Taylor’s conception of secularism, I address the recent controversies in Quebec over Bill 21, which prohibits the wearing of religious symbols amongst certain kinds of public employees, and the removal of the crucifix from the legislative assembly. In the second portion of this paper, I argue that Bayle developed two arguments for “secularism B” using Christian doctrine. In his Pensées Diverses (1682), Bayle draws upon original sin, and in his Commentaire Philosophique (1686), Bayle uses the doctrine of the Imago Dei. I argue that from within the framework of the early modern confessional state, Bayle develops a theory of secularism in which a state may embrace a particular dominant religion, but in so doing, still defend the equal rights of all citizens and allow free expression of all religions within the public sphere.]