Exercice de l’œil, exercice de la main : le dessin comme exercice de soi à l’époque de la Renaissance maniériste

Cet article se propose d’analyser la notion d’exercice telle qu’elle est pensée dans les traités d’art maniéristes de la seconde moitié du XVIe siècle en Italie ; il procède à une reconstitution des théories de l’exercice ainsi qu’à une explicitation de leurs sources philosophiques (aristotélisme, néoplatonisme…). Pour les maniéristes, l’art est une disposition subjective qui s’acquiert par l’habitude ; la pratique du dessin est supposée apporter à l’artiste une aisance qui concerne autant sa dextérité manuelle que l’acuité de son jugement. En acquérant un « jugement de l’œil », l’artiste doit apprendre à « savoir voir », afin de pouvoir adapter les règles générales aux situations particulières les plus complexes, comme l’homme prudent d’Aristote. Le dessin, en particulier, est l’occasion pour l’artiste d’affiner et d’enrichir son regard en corrigeant ses erreurs. La grâce, qui est une « facilità nella difficoltà » censée émanée de cette pratique assidue du dessin, implique en outre une forme d’authenticité par rapport à soi-même, l’artiste respectant et cultivant ses tendances naturelles et personnelles. C’est dans ce contexte, où l’art devient vertu et engage la vie entière de celui qui le pratique, que l’exercice du dessin devient un exercice de soi, par lequel l’artiste se forme, se questionne, se perfectionne.This paper aims at questioning the concept of exercise as it is understood in the mannerist treaties of art in the late Cinquecento. It relies on a thorough investigation on the philosophical sources (such as Aristotelism and Neoplatonism) of these artistic theories. For the mannerists, art is a subjective quality that is granted by practice and custom; drawing practice, for instance, is supposed to help the artist create with ease and facility, improving both his manual dexterity and the accuracy of his judgement. The notion of “judgement of the eye”, one of the many qualities exercises may involve, suggests that the artist must learn “to see” in order to be able to adapt general rules to fit specific and difficult situations, as Aristotle’s prudent man. Drawing, in particular, is regarded as an opportunity of getting an enriched and refined eye by correcting the flaws of one’s works. Grace, defined as “facilità nella difficoltà”, is said to emerge from this frequent practice, but also implies that the artist should be true to himself and follow his own inclinations. Because art is thought as a sort of virtue and concerns the artist’s whole life, drawing practice turns into a practice of the Self, through which the artist models, examines and improves himself