Chapitre 3. L’occupation du Néoindien récent

En avant du gisement mésoindien, sur un cordon sableux autrefois à proximité immédiate du rivage, a été localisé le site de Baie Orientale 2. Il s’agit d’un dépotoir du Néoindien récent d’une superficie d’environ 200 m2 (fig. 107 à fig. 110). L’aire d’investigation a été délimitée en fonction des données recueillies dans les tranchées de diagnostic et sur l’ancienne zone de fouilles. Le gisement consiste en un unique niveau de rejet, de forme globalement oblongue, disposé parallèlement au rivage. Il est partiellement détruit au nord par une grande excavation résultant d’un prélèvement de sable. La zone des recherches représente une surface d’environ 140 m2 qui enserre partiellement le sondage réalisé en 1992. La couche dépotoir a été dégagée manuellement, puis le mobilier a été prélevé au mètre carré selon le carroyage implanté. Le sédiment a été extrait sur 0,30 m d’épaisseur et tamisé pour toute la superficie de la zone des recherches. Le dépotoir est constitué d’une couche peu épaisse d’éléments inorganisés résultant d’une accumulation de déchets sciemment rejetés, issus d’activités industrielles et domestiques. Les rebuts de production industrielle sont constitués de céramique et de produits de débitage sur pierre, sur coquille et sur corail. Les rejets domestiques sont des déchets alimentaires – essentiellement des restes de malacofaune et de carapaces de crustacés – et un unique ossement de poisson, dont la présence conduit à s’interroger sur la conservation différentielle des vestiges. Des pierres de chauffe sont attestées grâce aux stigmates d’un contact au feu : éclats thermiques et traces de rubéfaction. Des cendres et des charbons de bois y sont associés. Le dépotoir a fourni un abondant mobilier céramique, ce qui a permis d’établir un large répertoire typologique. En effet, grâce à la faible fragmentation des restes et aux remontages nombreux, une série homogène de récipients et d’ustensiles a été reconstituée. L’ensemble est composé en grande partie de contenants à caractère utilitaire grossièrement façonnés, de quelques individus décorés d’un engobe rouge et de rares éléments modelés (fig. 111 à fig. 129 ; tabl. xxvii à tabl. xxix). Au regard des spécificités typologiques et des datations radiométriques qui ont fourni des résultats centrés sur les viiie et xe s. ap. J.-C., cet assemblage se rattache au style Mill Reef de la sous série mamoran-troumassoïde. Il témoigne en effet d’une filiation avec la phase antérieure cédrosan-saladoïde. Le mobilier lithique est produit à partir de roches récoltées sur l’île, mis à part de rares éléments en silex (fig. 56 à fig. 60). Les roches locales sont donc nettement privilégiées. Les cherto-tuffites sont intensément exploitées pour la fabrication de haches et de pilons, et les tufs à quartz pour des meules-polissoirs. Les tuffites locales continuent à être utilisées sous forme de galets ou d’éclats tranchants ; tous les autres éléments, y compris les parures comme les perles en calcite, ou les objets rituels comme les zémis façonnés sur la calcirudite du gîte de la Pointe Arago, proviennent de Saint-Martin. Deux chaînes opératoires sont spécifiques : celle des lames de hache en cherto-tuffite et celle des perles cylindriques ou discoïdes sur calcite cristalline (fig. 130 à fig. 140 ; tabl. xxx à tabl. xxxii). La destination principale du corail est la fabrication d’un ustensile polyvalent sur tête hémisphérique de Diploria sp. Utilisé tout à la fois comme meule, comme enclume et comme polissoir, cet ustensile a probablement servi à la transformation de différents matériaux (fig. 141 à fig. 151). À Baie Orientale 2, les coraux ont été exploités pour leurs qualités abrasives, comme durant la période mésoindienne, mais des usages nouveaux sont attestés : enclume, matière première pour la confection d’objets et racloir improvisé. Différentes hypothèses d’utilisation sont envisageables compte tenu de la variété de formes et de textures des différentes espèces récoltées. Elles impliquent l’existence de plusieurs modes opératoires, peut-être liés au travail du bois et au traitement de végétaux dans un but technique ou pour la consommation alimentaire. L’étude des restes coralliens laisse entrevoir des schémas opératoires encore méconnus pour les cultures précolombiennes des Petites Antilles et dévoile une exploitation spécifique et constante de ce matériau original. Les gastéropodes marins constituent le premier moyen de subsistance. Il s’agit en premier lieu de Cittarium pica, associé à quelques taxons plus marginaux : Neritidae, Chitonidae, Littorinidae et Thais sp. Tous sont aisément collectés sur la bande rocheuse médiolittorale, entre la Baie Orientale et la Baie de l’Embouchure. S’y ajoutent quelques taxons d’herbiers, Strombidae et Astraea sp. notamment, que l’on trouve dans les premiers mètres d’eau de ces mêmes baies, et quelques espèces ramassées de façon occasionnelle dans des milieux intermédiaires. Les petits et moyens gastéropodes, dont Cittarium pica fait partie, ont probablement été décoquillés par cuisson dans des récipients en céramique. En revanche, la chair de Strombus sp. a été extraite crue par percement de la coquille. Ce site apparaît donc spécialisé dans l’exploitation des ressources marines et dans le décoquillage. La finalité majeure de la collecte semble avoir été la consommation alimentaire, l’industrie sur coquille n’étant documentée que par de rares éléments. On peut émettre l’hypothèse que le dépotoir isolé de Baie Orientale 2 résulte de l’activité d’un site spécialisé, un campement à vocation peut-être saisonnière, axé sur l’exploitation du milieu marin de la façade atlantique. Comme les investigations n’ont pas révélé de traces de bâti ni d’autres dépotoirs, il apparaît évident que la configuration du site ne répond pas au schéma classique du « village » tel qu’il est connu à cette période. Il pourrait donc s’agir d’un site satellite en relation avec un village, vraisemblablement celui de la Pointe du Canonnier, situé à l’extrémité occidentale de l’île. Les deux gisements, contemporains, ont fourni des céramiques comparables, rattachées au style Mill Reef de la sous-série mamoran-troumassoïde. On signalera également l’existence de plusieurs autres sites satellites spécialisés, potentiellement contemporains et ayant donc très probablement des relations fonctionnelles entre eux. Il a été démontré que ce système d’exploitation du territoire est l’héritage direct de la tradition des communautés du Néoindien ancien.The site of Baie Orientale 2 is located ahead of the Mesoindian site on a sandbar that was once situated very near the shoreline [fig. 6]. It consists of a Late Neoindian midden covering a surface of approximately 200 m2 [fig. 107 to fig. 109]. The research zone was delimited based on the data recovered from the diagnostic test trenches (Bonnissent 2000) and from the previous excavation zone (Hénocq et al. 1992). The site is composed of a single waste layer with a generally oblong shape [fig. 110], situated parallel to the shoreline. Its northern part was partially destroyed by a large excavation made during a sand collection operation. The research zone covers an area of approximately 140 m2, partially enclosing the sondage realized in 1992. The midden level was manually exposed and the artifacts were collected by square meter, delimited by the grid that was installed. The sediment over the entire research zone was extracted in 0.30 m units and sieved. The midden consists of a thin layer of unorganized elements resulting from an accumulation of intentionally discarded waste products of industrial and domestic activities. The waste products of the industrial activities include pottery and stone, shell and coral debitage by-products. The domestic waste is composed of food products —mostly malacofauna remains and crustacean shells— and one fish bone whose presence raises questions concerning the possible differential preservation of remains at this site. Heated stones are attested by stigmata characteristic of contact with fire: thermal flakes and traces of rubefaction. Wood ash and charcoal are also present. The midden yielded numerous pottery artifacts, allowing the identification of a broad typological range. Due to the low fragmentation of these objects and the many refits between them, we were able to reconstruct a homogeneous assemblage of recipients and utensils. This assemblage is composed in large part of crudely manufactured utilitarian containers, a few specimens decorated with a red slip and a few shaped elements [fig. 111 to fig. 127; tabl. XXVII to tabl. XXIX]. The typological particularities and radiometric dates, concentrated within the 8th and 10th centuries ad, allow us to attribute this assemblage to the Mill Reef style of the Mamoran Troumassoid sub-series (Bonnissent 2008). It thus shows an affiliation with the anterior Cedrosan Saladoid phase. The lithic artifacts were made from stones collected on the island, with the exception of a few flint elements [fig. 60 to fig. 65]. Local stones were thus clearly favored. Cherto-tuffites were intensively exploited to manufacture axes and pestles, and tuffs and quartz for the grindstone-polishers. Local tuffites continue to be used in the form of pebbles or sharp flakes. All of the other elements, including personal ornaments such as calcite beads and ritual objects, such as the zemis made from the calcirudite for the Pointe Arago source, originate from Saint Martin. There are two specific production sequences (“chaînes opératoires”): that of the axe blades in cherto-tuffite and that of the cylindrical or radial beads made from crystalline calcite [fig. 128 to fig. 135; tabl. XXX to tabl. XXXII]. The main function of coral was for the fabrication of a versatile utensil on the hemispheric head of Diploria sp. Used as a grindstone, anvil and polisher, this utensil probably served for the transformation of diverse materials [fig. 136 to fig. 147; tabl. XXXIII]. At Baie Orientale 2, corals were exploited for their abrasive qualities, as in the Mesoindian period, but new uses are also attested: anvil, raw material for the fabrication of objects and improvised scraper. Different hypothesis as to their function are possible given the variety of forms and textures of the different species collected. They imply the existence of several functions, perhaps related to wood working and vegetal material processing for technical purposes or dietary consumption. The study of the coral artifacts sheds light on manufacturing strategies that are still poorly known for the Pre-Columbian cultures of the Lesser Antilles and reveals a specific and continual exploitation of this unusual material. Marine gastropods were the primary subsistence resource. Cittarium pica was the main species exploited, in association with a few less frequent taxa: Neritidae, Chitonidae, Littorinidae and Thais sp. [fig. 35; fig. 36]. All were easily accessible in the rocky band of the tide zone between Baie Orientale and the Baie de l’Embouchure [fig. 37]. They were accompanied by a few sea grass species, including Strombidae and Astraea sp., which were present in the first meters of water in these same bays, and a few species occasionally collected in the intermediary zones [fig. 38 to fig. 41; tabl. II to tabl. VIII]. The shells of small and medium sized gastropods, including Cittarium pica, were probably shucked by cooking them in ceramic recipients. The flesh of Strombus sp., on the other hand, was extracted raw by perforating the shell [fig. 148]. This site thus appears to have been specialized in the exploitation of marine resources and in shell shucking. The main goal of the collection was probably dietary consumption since shell tools are represented by only a few objects [fig. 149 to fig. 151]. We propose the hypothesis that the isolated midden of Baie Orientale 2 resulted from the activities of a specialized, possibly seasonal, camp oriented toward the exploitation of marine sources on the Atlantic coast. Since our research revealed no constructions or other middens, the configuration of the site does not correspond to the classic “village” model known for this period. It therefore may have been a satellite site linked to a village, probably that of Pointe du Canonnier, located at the western extremity of the island [fig. 152]. These two contemporary sites yielded similar pottery that has been attributed to the Mamoran Troumassoid Mill Reef style (Bonnissent 2008). Several other, potentially contemporary, specialized satellite sites exist as well, and these sites were probably linked by functional relationships. It has been shown that this territorial exploitation system was directly inherited from the tradition of the Early Neoindian communities (Bonnissent 2008).Delante del yacimiento mesoindio, en un cordón de arena que antiguamente debió estar muy cercano a la costa, se halló el sitio denominado Baie Orientale 2 [fig. 6], un depósito neoindio tardío cuya superficie es de aproximadamente 200 m2 [fig. 107a fig. 109]. El área de investigación se delimitó en función de datos recogidos en las trincheras de diagnóstico (Bonnissent 2000) y en la antigua zona de excavación (Hénocq et al. 1992). El yacimiento consiste en un único estrato de restos paralelo a la orilla del mar y de forma oblonga [fig. 110]. La parte norte está parcialmente destruida debido a una gran excavación realizada para extraer arena. El área de intervención representa una superficie de aproximadamente 140 m2 que abarca parte del sondeo efectuado en 1992. Después de despejar manualmente el depósito, se efectuó un levantamiento del material por metro cuadrado, en base a una cuadrícula. En la totalidad del área de intervención, se extrajo y se cernió una capa de sedimentos de 0,30 m de altura. El depósito revela una capa fina de materiales desorganizados, que resulta de la acumulación de residuos arrojados voluntariamente en el lugar, después de alguna actividad industrial o doméstica. Los desechos de la producción industrial consisten en cerámicas y productos del lascado de piedras, conchas o corales. Los desechos domésticos son fundamentalmente restos alimenticios (restos de malacofauna y de caparazones de crustáceos) y una única osamenta de pescado, cuya presencia nos lleva a interrogarnos acerca de la conservación diferencial de los vestigios. Asimismo, se identificaron piedras de hogar gracias a rastros de contacto con el fuego (astillas térmicas y marcas de rubefacción), asociados a restos de cenizas y carbón de leña. El depósito arrojó abundantes restos poco fragmentados de un ajuar cerámico que nos permitió establecer un amplio repertorio tipológico. Gracias a ello, se reconstituyó una serie homogénea de recipientes y utensilios. El conjunto está compuesto principalmente por recipientes utilitarios de factura tosca, algunos objetos decorados con engobe rojo y unos pocos artefactos modelados [fig. 111 a fig. 127; tabla XXVII a tabla XXIX]. Teniendo en cuenta las características tipológicas y las dataciones radiométricas que apuntan a los siglos viii y x d. C., se puede identificar este ajuar como perteneciente al estilo Mill Reef de la subserie troumassoide mamorano (Bonnissent 2008). Se observa efectivamente una filiación con la fase anterior saladoide cedrosano. Los artefactos líticos se produjeron a partir de rocas recogidas en la isla, a excepción de unos pocos objetos de sílex [fig. 60 a fig. 65]. Las rocas locales son mayoritarias. Las rocas de chert y tufita se emplearon en abundancia para la confección de hachas y majas, y la toba cuárcica para muelas y pulidores. Se siguen utilizando las tufitas locales en forma de cantos rodados y astillas afiladas. Todos los demás elementos provienen de San Martín, incluidos los adornos, como las perlas de calcita, o los objetos rituales, como los zemís fabricados en calcirudita del sitio de Pointe Arago. Se identificaron dos cadenas operativas específicas: la de las hojas de hacha fabricadas en rocas de chert y tufita, y las de las perlas cilíndricas o discoidales de calcita cristalina [fig. 128 a fig. 135; tabla XXX a tabla XXXII]. El destino principal del coral es la fabricación de un utensilio polivalente a partir de la cabeza hemisférica de Diploria sp. Es probable que este utensilio se haya utilizado como muela, pulidor y yunque a la vez, y que haya servido para transformar distintos materiales [fig. 136 a fig. 147; tabla XXXIII]. En Baie Orientale 2, los corales se aprovecharon por sus cualidades abrasivas, al igual que durante el período mesoindio, aunque también se observan usos nuevos como yunques, raederas improvisadas y materia prima para confeccionar otros objetos. Teniendo en cuenta la variedad de formas y texturas de las especies recogidas, se plantearon distintas hipótesis de uso en las que entran en juego diversos modos operativos relacionados con el trabajo de la madera o con el tratamiento de los vegetales, ya sea con fines técnicos o para su consumo alimenticio. El estudio de los restos de corales hace pensar en modos operativos aún poco conocidos en las culturas precolombinas de las Antillas Menores y revela un uso específico y constante de este material original. Los gasterópodos marinos constituyen el principal medio de subsistencia. El más frecuente de ellos es Cittarium pica, asociado a algunos taxones más marginales como Neritidae, Chitonidae, Littorinidae y Thais sp. [fig. 4; fig. 36]. Todos ellos se recogieron fácilmente en la franja mediolitoral situada entre la Baie Orientale y la Baie de l’Embouchure [fig. 37]. Cabe añadir algunos taxones de la pradera marina, en especial Strombidae et Astraea sp., que se encuentran en los primeros metros de agua de esas mismas bahías, y algunas especies recogidas ocasionalmente en los medios intermedios [fig. 38 a fig. 41; tabla II atablaviii]. Probablemente, los gasterópodos, grandes y pequeños, y entre ellos Cittarium pica, se cocinaban en recipientes cerámicos y así se los separaba de su concha. En cambio, la carne de Strombus sp. se extraía cruda de la concha perforándola [fig. 148]. Así pues, al parecer este sitio se especializaba en el aprovechamiento de los recursos marinos y en el desconchado de moluscos. El objetivo principal de la recogida parecer haber sido el consumo alimenticio, ya que la fabricación de artefactos en concha está documentada por muy pocos especimenes [fig. 149 a fig. 151]. Lo anterior indica que el depósito aislado de Baie Orientale 2 es el resultado de una actividad especializada que se llevaba a cabo en ese sitio, posiblemente un campamento estacional dedicado al aprovechamiento del medio marino del frente atlántico. No habiéndose detectado en el transcurso de las investigaciones ningún rastro de construcción ni otros depósitos, resulta evidente que la configuración del sitio no responde al sistema clásico de « aldea », tal y como se lo conocía en esa época. Sí podría ser un sitio secundario dependiente de una aldea, seguramente la de la Pointe du Canonnier, situada en el extremo occidental de la isla [fig. 152]. Ambos yacimientos son contemporáneos y han arrojado cerámicas comparables, asociadas al estilo Mill Reef de la subserie troumassoide mamorano (Bonnissent 2008). Cabe señalar, además, la existencia de varios otros sitios secundarios especializados, que podrían ser contemporáneos y que probablemente hayan mantenido entre ellos determinadas relaciones funcionales. Se ha demostrado que este sistema de aprovechamiento del territorio es una herencia directa de la tradición de las comunidades del Neoindio temprano (Bonnissent 2008)