Temps et mélancolie (l'espace du corps dans le temps de l'absence)

J ai toujours été persuadé d être un malade du temps. Je me sens décalé par rapport à la vie. Je sens le temps fuir... J ai la sensation du type qui marche négativement par rapport au temps, j ai la sensation du type qui marche négativement par rapport au temps. J éprouve le besoin de ma raccrocher comme une épave, mais je n y arrive pas... je vis dans l instantanéité. Je n ai plus la sensation de continuité. J ai l angoisse d une journée identique devant moi ; dès le matin, j ai la conception du recommencement, de I éternel.., je suis dans le présent uniquement par idée, mais ni par le sentiment, ni par l émotivité.., j ai la sensation du trop tard, je vis de remords et de regrets je me raccroche au passé, poussé par l idée que je resterai toujours comme je suis maintenant. E. Minkowski, Le Temps vécu, 1933.Ces plaintes sont rapportées par Minkowski dans Le Temps vécu, oeuvre qui représente en France la première description phénoménologique de la dépression mélancolique. Approche qui met à jour le trouble du temps vécu, ici admirablement illustré par les propos de ce patient, comme générateur de la mélancolie. Ainsi partant de cette clinique centrée sur la stagnation du temps vécu, décrite par les psychiatres phénoménologues, nous interrogerons les rapports du temps et de la mélancolie en regard de la théorie psychanalytique dans une revue de la littérature non exhaustive. Tenter de trouver, déceler dans une compréhension de la statique mélancolique comme temps de l absence, un levier thérapeutique, à entendre comme dynamique, réanimation du psychisme gelé . C est peut-être à l invite de Fédida accorder quelques bienfaits à la dépression: s accorder au patient, se faire creux pour accueillir une parole donnant corps à l informe, mise en sens (sensoriel et sémantique), respiration du temps, d échange incessant de la vie du passé et de la vie à venir, de la survivance et du désir qui en naît . Continuum ou hiatus de la mélancolie à la dépression, de la capacité dépressive à la seconde latence, paradigme de l adolescence, adolescens toujours en cours chez l adulte: temps de renoncement et d élaboration, comme état de chaos, de créativité, propice aux remaniements où s origine le processus de temporalisation-subjectivation, rejouant identité et identifications. Aller à la rencontre du sujet mélancolique: esthétique commune aux relations intersubjectives, à la poésie, et au rêve, comme ouverture pour advenir, brèche, faille du désir s alimentant au manque, éprouvé de la présence de l absence; la mer qui se retire, une vague encore s allonge sur la dune et dépose, dans l écume, alors que point le jour, le nacre d une larme .PARIS13-BU Serge Lebovici (930082101) / SudocSudocFranceF