La gestion des risques du DES (diéthylstilbestrol) (état des lieux en 2013)

Le Diéthylstilbestrol (DES), œstrogène de synthèse, a été utilisé en France de 1948 à 1977 sous les noms des spécialités Distilbène® et Stilboestrol-Borne® (ce dernier jusqu en 1974), chez les femmes enceintes pour prévenir les avortements spontanés, les hémorragies gravidiques ainsi que dans d autres complications de la grossesse telles que la toxémie gravidique et le diabète gestationnel. Nous appellerons première génération exposée les femmes ayant pris du DES, deuxième génération, les enfants exposés in utero au DES et troisième génération, les enfants des femmes et hommes exposés in utero au DES. Aux Etats-Unis, les premiers cas d adénocarcinomes à cellules claires (ACCC) du vagin chez des jeunes filles exposées in utero au DES, publiés dès 1970-1971, ont provoqué l interdiction de l utilisation du DES à la demande de la FDA. En France, il faut attendre 1975 pour que soient décrits les premiers cas d adénose vaginale puis d ACCC. L indication avortements spontanés à répétition a été supprimée du VIDAL® en 1976 et la contre-indication d utilisation chez la femme enceinte a été ajoutée en 1977. Depuis 1971, d autres complications très sérieuses (cancers, malformations de l appareil génital, infertilité, troubles neuropsychiatriques) ont été mises en évidence chez les personnes de la deuxième génération, en particulier des complications obstétricales et génitales chez les femmes. En France, on estime qu environ 200 000 femmes ont été traitées par le DES entre 1948 et 1977, avec un pic de prescription entre le milieu des années soixante et le milieu des années soixante-dix. Le nombre de naissances est estimé à environ 80 000 filles et 80 000 garçons exposés in utero au DES et âgés aujourd hui de 36 à 65 ans. Les conséquences de l exposition prénatale au DES devront être surveillées encore plusieurs années voire décennies, en raison des risques multi-générationnels avérés et démontrés chez les enfants nés de femmes exposées in utero au DES (hypospadias et autres malformations). Depuis 1983, le Ministère de la Santé puis l Afssaps (devenue Ansm en 2012) ont sensibilisé le public et les professionnels de santé sur les complications liées au DES et leur prise en charge par des campagnes d information incluant la publication de brochures informatives, et/ou de mises au point (2002-2003, 2011). L histoire du DES est un modèle du genre . Interdit ou contre-indiqué depuis plus de trois décennies, les conséquences d une exposition au DES sont maintenant largement observées et décrites dans la deuxième et la troisième génération. Pour la deuxième génération, le maintien d une surveillance s avère important notamment sur le risque de survenue d un cancer : - pour le risque de cancer du sein, les études de Palmer réalisées aux Etats-Unis ont montré une augmentation significative du risque du cancer du sein chez les femmes exposées in utero au DES après l âge de 40 ans alors que cette augmentation du risque de cancer du sein n est pas retrouvée dans l étude réalisée aux Pays-Bas par Verloop, qui n a pas commenté cette différence de résultats. Le Professeur Tournaire estime que chez les femmes âgées de plus de 40 ans le risque est doublé et qu il correspond à celui d une femme ayant un antécédent de cancer du sein chez une parente du premier degré. - quant au risque d ACCC, l étude hollandaise de Van Dijck a mis en évidence des cas d ACCC tardifs jusqu à l âge de 54 ans, ainsi la surveillance attentive doit se poursuivre jusqu à l orée des années 2030. L effet multi-générationnel du DES est désormais clairement établi. Toutefois l effet observé sur plusieurs générations chez la souris questionne sur un possible effet trans-générationnel chez l homme. : - l hypospadias a été la complication la plus étudiée et pour laquelle la causalité semble la plus documentée ; - à ce jour, il n a pas été mis en évidence d anomalie de l appareil génital des filles des mères exposées in utero ; - aucun risque supplémentaire de cancer ne semble jusqu à présent être prouvé expérimentalement ou établi cliniquement ; - une surveillance de la troisième génération et particulièrement des cohortes historiques de patients semble requise ; - une poursuite des études chez l animal s avère nécessaire pour affiner les connaissances sur le(s) mécanisme(s) d action du DES. L effet du DES sur la survenue de troubles neuropsychiatriques à la deuxième génération n est ni prouvé ni établi cliniquement mais la préoccupation de certains patients et associations de patients incite à rester attentif à toute nouvelle donnée en ce domaine. De plus en plus de scientifiques présentent le DES comme le modèle par excellence de perturbateur endocrinien. L exposition fœtale aux xéno-œstrogènes dont le représentant le plus connu est le Bisphénol-A (proche structuralement du DES, et synthétisé également par Charles Dodds), pourrait jouer un rôle important dans l induction de pathologies multiples très voisines se développant à l âge adulte. L expérience du dossier DES prouve qu il est primordial de réaliser une vigilance renforcée au long terme des risques liés à l utilisation d un produit de santé (registre, étude de cohorte ). L organisation de la pharmacovigilance, d abord limitée à la prise en compte des signaux d alerte, a évolué progressivement d une gestion des risques a posteriori vers une gestion a priori de ces risques. Aujourd hui, une surveillance orientée, active et proactive est indispensable pour espérer mieux identifier, caractériser, prévenir, minimiser les risques d un médicament et de surveiller son bon usage dans les conditions réelles d utilisation.BORDEAUX2-BU Santé (330632101) / SudocSudocFranceF