La valorisation agricole des boues d'usines d'épuration d'eaux usées municipales : impact sur la chaîne alimentaire humaine

À l'heure actuelle, les principales façons de disposer des boues résiduaires au Québec sont l'incinération, l'enfouissement et la valorisation. L'incinération et l'enfouissement sont des solutions coûteuses et polluantes, tandis que la valorisation des boues résiduaires, qui consiste en fait à les utiliser comme fertilisant pour les plantes, semble aller de pair avec les politiques actuelles de conservation des ressources. La présence de métaux lourds toxiques dans les boues apparaît cependant comme un obstacle majeur à leur utilisation sur des sols agricoles. Le principal objectif qui est poursuivi dans ce travail est de décrire, à court et à moyen terme, le mouvement des métaux lourds dans la chaîne alimentaire humaine suite à des activités de valorisation agricole des boues résiduaires. Une approche directe a été employée, soit en déterminant des teneurs en métaux lourds dans différents composants de la chaîne alimentaire humaine. Des échantillons de sol, de tissus végétaux et de tissus animaux provenant de terres agricoles fertilisées avec des boues ont été recueillis et analysés en laboratoire, afin de déterminer leur teneur en quatre métaux lourds d'intérêt: le cadmium, le cuivre, le plomb et le zinc. Six sites d'échantillonnage situés dans la région de la ville de Victoriaville (Québec, Canada) et dans celle de la ville de Lac Mégantic (Québec, Canada) ont été retenus pour cette étude. Dans la région de Victoriaville, un site traité à moyen terme, fertilisé en 1989 et 1990, un site traité à court terme, fertilisé en 1993, et un site témoin (n'ayant jamais reçu de boues) ont été échantillonnés en 1994. Dans la région de Lac Mégantic, l'épandage des boues a eu lieu en 1989 pour le site traité à moyen terme et en 1991 pour le court terme. En tout 5 échantillons de sol et 10 échantillons composites de végétation ont été recueillis pour chaque site. En ce qui concerne les échantillons d'origine animale, 250ml de lait ont été recueillis chez 10 vaches dans chacun des sites de la région de Victoriaville, tandis qu' environ 500g de foie, de reins et de muscles ont été échantillonnés sur 2 à 10 bêtes dans ceux de la région de Lac Mégantic. Une méthode efficace et simple de dosage des métaux lourds dans les tissus biologiques a dû être mise au point. La méthode procède par une destruction des tissus biologiques par carbonisation à sec, suivie d'une solubilisation dans l'acide et de l'analyse par spectrophotomètre à plasma induit (ICP). Les résultats de teneurs en métaux lourds obtenus pour les différents types d'échantillons ont été soumis à des analyses de variance et des tests de t afin de comparer le transfert des métaux lourds dans la chaîne alimentaire entre les sites traités à court et moyen terme et le site témoin. La puissance des analyses effectuées a également été déterminée. Aucune augmentation statistiquement significative de métaux lourds disponibles dans les sols ayant reçu des boues n'a pu être détectée. Dans la végétation, seule la teneur en zinc, pour le site traité à court terme de la région de Lac Mégantic, est significativement supérieure à celle du site témoin, mais nous ne pouvons attribuer hors de tout doute cette observation à un effet de la valorisation des boues. Dans le lait et les tissus de bovins, aucune augmentation statistiquement significative des teneurs en métaux lourds n'a été détectée. Seules des tendances ont pu être observées graphiquement, qui pourraient se résumer à des teneurs plus élevées pour les échantillons provenant des sites traités que pour ceux provenant du site témoin, pour le cuivre dans le lait, le cadmium, le cuivre et le zinc dans le foie, et enfin le cadmium dans les reins. Les données recueillies permettent de confirmer que certains métaux sont bioaccumulés dans la végétation, et bioamplifiés dans la chaîne alimentaire. Ainsi, le foie et les reins sont des organes bioaccumulateurs importants pour le cadmium, le cuivre et le zinc, alors que les muscles accumulent le zinc de façon marquée. Le lait ne semble par contre pas être un lieu de bioaccumulation des métaux lourds. Le transfert des métaux, que ce soit du sol à la végétation ou de la végétation aux herbivores ne semble pas être influencé de façon importante par la valorisation agricole des boues, du moins de 1 à 5 ans après l'épandage. Les teneurs en métaux lourds observées dans la végétation provenant des sites traités de cette étude étaient toutes inférieures aux teneurs maximales permises dans la diète des bovins. Même si les niveaux observés ne semblent pas indicateurs d'une toxicité immédiate pour les animaux, les différentes tendances observées ne permettent pas d'écarter la possibilité d'effets toxiques à long terme. Si l'on se fie aux résultats obtenus, il semble que la valorisation agricole des boues ne représente pas un problème immédiat pour la santé humaine, même si les comparaisons effectuées ne tiennent pas compte des autres sources de contamination possibles