John Stuart & James Mill : un modèle d’éducation utilitariste dépourvu d’affects

L’éducation de l’économiste John Stuart Mill est sans aucun doute l’une des expériences les plus inhabituelles qui aient été orchestrées par un tuteur ou un père au cours de l’histoire humaine. Conçue et planifiée par son père, James Mill, ainsi que par son plus fidèle ami, le philosophe Jeremy Bentham, l’éducation du jeune Mill a pour dessein d’en faire un défenseur actif de la philosophie utilitariste. La vie de John Stuart Mill illustre cependant de façon remarquable comment la transmission d’une forme éducative – mais également la prise de distance vis-à-vis de cette forme – construit autant qu’elle modifie une démarche scientifique en même temps qu’elle bouleverse la trajectoire d’une vie. Dans cet article, nous recherchons, au travers et au-delà du témoignage délivré par l’auteur dans ses Mémoires, les traces des contraintes drastiques de l’éducation qu’il reçoit ainsi que celles de sa transformation à la suite de la crise existentielle qu’il connaît à la sortie de son adolescence. Nous montrons en particulier comment le recouvrement de sa sensibilité a infléchi la pensée scientifique de John Stuart Mill – et notamment la portée de l’utilitarisme (qu’il conserve tout en l’amendant) – ainsi que le cours de sa vie affective (sa rencontre avec Harriet Taylor).The education of the economist John Stuart Mill is undoubtedly one of the most unusual experiences orchestrated by a tutor or father in human history. Conceived and planned by his father, James Mill, and his most faithful friend, the philosopher Jeremy Bentham, Mill’s education was designed to make him an active defender of utilitarian philosophy. The life of John Stuart Mill, however, is a remarkable illustration of how the transmission of an educational form - but also the distancing from it - builds as much as it modifies a scientific approach at the same time as it changes the trajectory of a life. In this article, we seek, through and beyond the testimony given by the author in his Memoirs, the traces of the drastic constraints of the education he receives as well as those of its transformation following the existential crisis he experiences at the end of his adolescence. In particular, we show how the recovery of his sensibility influenced John Stuart Mill’s scientific thinking - and in particular the scope of utilitarianism (which he retained while amending it) - as well as the course of his affective life (his meeting with Harriet Taylor)