Du Paysan parvenu à La Commère, ou le retour du refoulé

Du Paysan parvenu à La Commère, ou le retour du refoulé. Stéphane Pujol Université de Paris Ouest Nanterre La Défense Il y a sans doute dans l'histoire du théâtre peu d'exemples semblables à celui que nous propose La Commère de Marivaux. Si de nombreux romans font l'objet d'une adaptation pour la scène au XVIII e siècle, très rares sont les cas où cette mise en forme est le fait d'un seul et même auteur. Certes, Marivaux semble plus prédisposé qu'un autre à ce jeu de réécriture, lui qui est à la fois un grand romancier et un dramaturge de génie. La Commère (1741) est sans doute la dernière pièce de théâtre qu'il ait écrite pour les Comédiens Italiens. On la crut longtemps perdue avant qu'une bibliothécaire-archiviste de la Comédie Française ne découvrît le manuscrit au milieu du XX e siècle 1. Cette comédie en un acte est une « adaptation » pour la scène d'un épisode tiré de la deuxième et de la troisième partie du roman de Marivaux, Le Paysan parvenu, publié en 1735 en cinq parties, et demeuré inachevé. Cet inachèvement a fait couler beaucoup d'encre. Il semble d'ailleurs poser plus de problèmes à la critique littéraire que celui de La Vie de Marianne, l'autre grand roman de Marivaux également inachevé. Bien que lectorat de l'époque n'ait pas eu sujet à s'en plaindre, et malgré une suite apocryphe qui ne pouvait que médiocrement combler la curiosité du lecteur, cette question de l'inachèvement du Paysan parvenu suscite de nombreuses questions eu égard aux ambiguïtés qui traversent le texte et à une forme d'indétermination morale sur laquelle nous aurons à revenir. Notre propos est moins d'examiner ici en détail la série de transformations que la pièce fait subir à son modèle romanesque que de montrer comment cette « adaptation » 2 constitue une sorte de lecture critique d'un projet romanesque indécis et inabouti. La Commère se présente en effet comme une autre histoire possible, celle d'un paysan qui n'aurait pas pu-ou qui n'aurait pas dû-parvenir. La comédie pourrait alors se lire comme une version de l'histoire que l'hypotexte semble vouloir contenir. Dire que le roman contient la comédie, c'est dire à la fois qu'il l'intègre et qu'il lui interdit de se développer, qu'il l'embrasse et qu'il la réprime. La pièce a pourtant bien été écrite, comme si ce double jeu romanesque devait trouver une forme de résolution. La Commère peut alors se lire moins comme la parodie grinçante de so