Ménages d'enfants et enfants chefs de ménage dans l'après génocide au Rwanda (re)création d'appartenances

Le projet génocidaire visait l’effacement d’un groupe humain et, par voie de conséquence, de la filiation. Dans le cas du Rwanda, en 1994, les Tutsi ont été « génocidés » et leurs familles ont été également visées. Les rescapés se sont alors retrouvés sans famille et hors famille. La situation était encore plus difficile pour les enfants, normalement appelés à se développer à l’intérieur des structures familiales. Le phénomène des ménages d’enfants a alors vu le jour : ils sont constitués d’un groupe d’enfants de moins de vingt et un an, avec des parcours différents, difficiles et traumatiques, qui vivent seuls dans ces ménages, sans parents ni adulte, avec à la tête un autre enfant un peu plus grand, souvent l’aîné de la fratrie, ou alors sans aucun lien de parenté. La question à se poser naturellement est celle de savoir comment vivent ces enfants, comment les aînés arrivent à assumer les fonctions parentales ? Comment ces enfants ont-ils pu en arriver là, alors que certains parmi eux ont pu s’intégrer dans des familles d’accueils ou que d’autres ont préféré la rue ? Qu’est-ce qui est déterminant dans cette construction des ménages d’enfants qui constitue une sorte de « nouvelle structure familiale » ? Quelle est la place de l’enfance dans ce contexte-là ? Comment les enfants chefs de ménage perçoivent-ils ce rôle qui leur est attribué ? Ne serait-ce pas là une parentalité précoce, dans le sens où ils prennent la place d’un parent de manière précoce sans être géniteur. Notre objectif fut d’étudier ce phénomène en lui-même, dans les divers aspects psychologiques et sociaux problématiques qu’il implique, mais aussi dans ses effets, notamment sur la construction personnelle de chacun, sur la parentalité ultérieure et sur les relations familiales et sociales. Nous avons donc mené des entretiens auprès de dix-sept personnes : sept enfants chefs de ménage et dix enfants pris en charge. La recherche a pu démontrer que ces enfants ont réussi à opérer un acte de création, une reconstruction familiale aussi originale que surprenante dans la culture rwandaise.(PSY 3) -- UCL, 201