Le corps du concentrationnaire: la honte et le regard

Si la maxime toujours d'actualité des Lumières est de penser par soi-même, Auschwitz y a ajouté l'injonction à penser contre soi-même : la révision massive de l'histoire dont nous sommes issus, appelée par cette rupture de civilisation sans précédent, nous oblige en effet à tenir pour suspectes nos intuitions apparemment les plus innocentes. Mais prendre ses intuitions à rebrousse-poil représente un exercice difficile. Tout particulièrement quand on touche à des strates aussi profondes que les attitudes face qu corps, car en lui s'investissent quelques uns des partages inauguraux entre nature et culture, barbarie et civilisation. Ce sont des repères qu'on n'ébranle pas impunément. Comme un ongle crissant sur un tableau noir, qui s'y frotte provoque une répulsion quasi physique et il ne serait pas étonnant que ces pages puissent avoir parfois un effet similaire. Tout en m'en excusant par avance auprès du lecteur, je le prie de considérer que c'est peu-être l'indice le plus probant de la justesse des propos soutenus