L'image, l'échelle du visible : À propos de Franck Borzage

Franck Borzage est un réalisateur américain d’origine italienne né en 1893 et mort en 1962. Il a réalisé durant sa carrière plus d’une centaine de films et fut acteur dans une centaine d’autres. Il fut, aux côtés de Raoul Walsh, de John Ford et d’Howard Hawks, l’un des fers de lance de la Fox à la fin des années vingt. Chacun de ces réalisateurs était réputé dans un créneau et un genre particulier, celui de Borzage étant les histoires d’amour, les mélodrames. Selon Frederick Lamster, auteur d’un ouvrage consacré au cinéma de Borzage, la critique la plus persistante qu’on lui ait opposée est précisément sa fidélité, et ce durant toute sa carrière, aux conventions surannées du mélodrame. Le mélodrame est un genre généralement déconsidéré, souvent défini péjorativement comme une « œuvre à l’intrigue à la fois invraisemblable et stéréotypée, donc prévisible, aux effets sensationnels qui bafouent la psychologie et le bon goût, à la sentimentalité souvent écœurante ». Le mélodrame repose, comme tout autre genre, sur une part d’invariance. Si l’on suit Jean-Loup Bourget, théoricien du cinéma qui a consacré une thèse au mélodrame hollywoodien, la narration mélodramatique, inspirée du roman victorien, repose sur quelques motifs essentiels tels que le personnage de victime — la femme, l’enfant — ou les péripéties tragiques ou providentielles. De même la scénographie du genre se réduit aux quelques expressions passionnées que sont l’étreinte, la fuite, le duel ou encore la pétrification solitaire, toutes ses figures étant le plus souvent rendues en gros plan, paradigmatique du genre. Le visage devient au travers du mélodrame cette omniprésente surface d’expression, surface où se lisent les émotions. Mais la plus grande convention du genre demeure bien sûr celle du happy ending, celle de la fin heureuse qui doit venir clôturer le récit et qui a la fâcheuse réputation de se présenter le plus souvent sous la forme d’un deus ex machina. Mais, contrairement aux mélodrames classiques qui vont pour la plupart tenter de voiler leur deus ex machina sous couvert de la vraisemblance minimale, de la coïncidence, sous couvert d’une boucle naturelle de l’oeuvre, Borzage va au contraire exploiter à découvert, nous le verrons, les miracles que lui impose ce genre. Il utilise la convention pour ce qu’elle est, une forme, un cadre, et cela sans hypocrisie mais sans aucune ironie non plus. Les fins borzagiennes sont au contraire on ne peut plus sérieuses. Borzage respecte à la lettre les conventions du mélodrame, et ce au point de mettre en péril l’esprit de ce dernier