La maladie comme métaphore : littérature et médecine de l’esprit dans la seconde moitié du XIXe siècle

Dans cet ouvrage, ma contribution, centrée sur les métaphores cliniques, interroge le rôle de la littérature dans le « durcissement » (Isabelle Stengers) de la médecine des maladies mentales, et évalue en retour l’usage métaphorique des concepts médicaux dans la propre ambition de « durcissement » d’une partie de la littérature. Dans l’interrogation de ce croisement, il s’agit moins d’établir des critères de scientificité que de mettre en relief leurs conséquences : négatives, dans le cas des idéologies scientifiques ; positives, lorsqu’il s’agit du pouvoir proprement poétique de l’invention médicale, et de l’efficience du langage (scientifique, littéraire) dans la création de catégories aptes à rendre compte du réel. Le croisement entre littérature et médecine de l’esprit est d’abord envisagé dans une perspective à la fois historique et théorique, afin de dégager les raisons stratégiques de la convergence des deux domaines au XIXe siècle, et d’interroger le rôle de la métaphore dans la pensée scientifique. Centrée sur l’étiologie (ou science des causes), la seconde partie de ma contribution analyse en priorité l’aspect « négatif » de ce croisement. Elle se concentre sur les idéologies scientifiques qui ont pu se développer dans le sillage d’un discours que l’on peut qualifier de « médico-littéraire ». La maladie y sert avant tout de prête-nom, de « conte étiologique » beaucoup plus que de fiction épistémologique. La troisième partie renverse alors la proposition, et se concentre sur le rôle épistémologique de la fiction, en analysant les interactions fécondes du discours littéraire et du discours médical, en particulier dans le domaine de la psychiatrie. La métaphore y est envisagée non plus comme un instrument normatif ou un « modèle formel » cantonné à une fonction de vérification (Judith Schlanger), mais comme un « modèle conceptuel » à vocation heuristique. Centrée sur la description, la dernière partie tente de remonter aux sources de la « convergence métaphorique » (François Azouvi) dont témoigne le croisement des discours littéraire et médical, et ainsi de circonscrire ce qui peut garantir son efficacité heuristique. La « nouvelle découpe des choses » initiée, selon Michel Foucault, par la « naissance de la clinique » au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, peut, dans cette perspective, offrir une esquisse de réponse : définie comme une manière de regarder le réel, et de « faire parler ce que tout le monde voit sans le voir » (Foucault), la clinique offre à la littérature le modèle d’une description éloquente où le regard médical devient le relais du pouvoir du langage. L’étiologie, le récit de cas et la nosographie constituent donc les trois voies suivies pour analyser les emprunts métaphoriques de la littérature à une médecine considérée, depuis les Idéologues, comme la science de l’Homme par excellence. Le conte étiologique, la fiction épistémologique et la description heuristique sont, en retour, les trois formes qui permettent de mesurer l’apport de la littérature à un art clinique lui-même en quête de légitimation, et d’une efficacité rhétorique cherchant à rendre la vision médicale évidente