Le cœur du métier : quand le travail social en prison devient probation

International audience« En fait, on va être comme aux États-Unis avec notre blouson en cuir, notre petit pistolet, notre plaque, et on sera des agents de probation. Je pense que c'est l'idée qu'ils ont, en fait. » C'est ainsi qu'une conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation exprime au printemps 2011 ses inquiétudes quant aux réformes affectant son métier. Elle s'est engagée dans l'administration pénitentiaire par vocation sociale, pour venir en aide à une population particulièrement défavorisée, et trouve que les nouvelles missions qui lui sont assignées dénaturent la profession en l'orientant vers le contrôle et la répression. En effet, entre 2008 et 2011 des textes réglementaires se sont succédés pour recentrer les travailleurs sociaux pénitentiaires sur un « coeur de métier » défini comme l'exécution des peines, et l'évaluation criminologique. Tout en revalorisant considérablement leur statut au sein du système juridico-pénal, dans lequel une place importante est désormais reconnue aux conseillers pénitentiaires, ces réformes institutionnelles ont causé un déplacement de leur métier du champ social vers le champ sécuritaire, un glissement non sans conséquence sur la relation avec les publics pris en charge, et diversement accepté par les agents. Les travailleurs sociaux pénitentiaires pouvaient autrefois se penser comme la « main gauche » de la prison, chargés d'atténuer sa violence par un accompagnement social, une écoute, l'organisation d'activités culturelles etc. 1 Les réformes récentes leur accordent un rôle central pour déterminer les modalités d'exécution de la peine et orienter les détenus, selon les garanties de réinsertion qu'ils présentent, entre un « milieu fermé » (la prison) toujours saturé, et un « milieu ouvert » (libération conditionnelle, bracelet électronique, etc.) dont l'expansion est relativement limitée. Ce faisant, leur rapport au pouvoir et la représentation qu'ils se font de leur rôle en sont transformés. Leur activité est en effet moins de l'ordre de l'assistance, que de l'évaluation et du contrôle : l'évaluation criminologique de la dangerosité des condamnés, des risques qu'ils peuvent faire peser sur la société ; et le contrôle du respect des obligations pénales qui leur ont été imposées pour s'assurer d'eux (suivi de soins, paiement des indemnités aux victimes, emploi). L'observation du travail des conseillers pénitentiaires permet ainsi d'éclairer un pan méconnu de ce qu'est, en actes, la fonction de punir assurée par l'administration pénitentiaire : individualiser la peine, c'est-à-dire évaluer, orienter et moduler la contrainte