L'écriture, point aveugle de l'épistémologie ?

International audienceÉcrire est un passage obligé de la diffusion des connaissances scientifiques. La transmission du savoir accorde certes une place importante à la prestation orale (et en partie gestuelle) de l'enseignant ou du formateur face à un auditoire, et la communication scientifique recourt aussi aujourd'hui, et de plus en plus, à l'image et aux supports audio et vidéo. Mais la référence au texte écrit continue à faire autorité : transmission écrite, revues et lieux de publications, citations. Cette centralité de l'écriture pose en soi un problème scientifique, car l'écrit n'est pas seulement un support, un médium en quelque sorte transparent, de la diffusion des connaissances : l'écriture participe à la production même de ces connaissances, elle leur donne forme. La science essaie de penser la possibilité d'une connaissance objective, c'est-à-dire qui existerait indépendamment des subjectivités des scientifiques qui la produisent. Mais l'activité scientifique ne peut pas se penser sans écriture, sans la figure de la démonstration inscrite au tableau de nos salles de classe. Les modes d'élaboration et de transmission de la connaissance sont ainsi condition-nés par ce médium qui les canalise dans les formes linéaires et orientées de l'argumentation, c'est à dire de l'énonciation d'une parole adressée par un sujet à un autre. L'aboutissement paradoxal de la pensée scientifique, aujourd'hui, serait de tenter le coup de force de se penser en dehors des catégories cognitives qui la contiennent et la contraignent. On pour-rait essayer d'imaginer ce que serait une connaissance élaborée par des êtres qui n'auraient pas disposé de la parole, et a fortiori de l'écriture. Une société où pré-dominerait la communication par le toucher ou par l'odorat (ou par des canaux sensoriels autres, inexistants sur notre planète, mais dont on pourrait imaginer les caractéristiques virtuelles) pourrait-elle accéder à l'équivalent d'une pensée scientifique ? Et dans cette hypothèse, quelle serait leur " vision " (terme forcé-ment anthropocentrique) de leur monde et de l'univers ? Les questions posées par l'écriture scientifique sont sans doute plus aiguës encore dans les sciences humaines et sociales