Regards croisés sur l'état de la Loire Moyenne : potamoplancton et qualité de l'eau, quel enseignement tirer de 20 années d'études ?

La Loire est utilisée par l'homme depuis très longtemps et c'est au début des années soixante qu'Electricité de France s'est préoccupée des nuisances que pouvait apporter la réfrigération de ses centrales thermiques. La mise en place de la Loi relative aux installations classées pour l'environnement, qui date de 1976, a conduit cet organisme à mettre en place des études de surveillance écologique du milieu. Les échantillons recueillis entre juin et octobre, de 1982 à 2001, ont permis de suivre les variations de la qualité de l'eau en relation avec les communautés vivantes. Les résultats obtenus aux trois stations échantillonnées en amont et en aval des sites de Dampierre-en-Burly et de Saint-Laurent-des-Eaux situés de 550 km à 640 km des sources du fleuve, ont servi de base de données. Dans le Val de Loire, les écoulements offrent des situations contrastées et les étiages peuvent être très sévères. L'habitat physique est un élément déterminant du développement du potamoplancton ; celui-ci est favorisé par les zones lentiques qui peuvent représenter une large part de la masse d'eau. Les divers apports de nutriments contribuent à un développement massif d'algues planctoniques et, avec des teneurs en chlorophylle >200 μg.l-1, c'est l'un des fleuves européens les plus riches en algues. L'examen des données recueillies pendant ces vingt années a permis de constater que l'oxygénation de l'eau de ce secteur de fleuve est étroitement liée à la quantité d'algues, les processus de production l'emportent au regard de la demande biochimique en oxygène. Les éléments nutritifs et la silice sont corrélés positivement aux débits. Les nitrates, corrélés négativement à la densité algale, ont été moins consommés au cours des dernières années. Au cours des années hydrologiquement déficitaires, les phosphates ainsi que la silice tendent à devenir limitants. En outre, parallèlement à la baisse des flux de phosphates (en limite de détection depuis 1998), la densité des algues a diminué depuis 1995 (site amont) et depuis 1996 (site aval). Ceci suggère que les efforts d'épuration développés par les Agences de l'Eau portent leurs fruits, mais en conséquence, il s'est produit une diminution concomitante des teneurs en oxygène dissous. Ces algues pouvant être régulées par leurs consommateurs potentiels, une étude des rotifères (composants quasi-exclusifs des métazoaires zooplanctoniques vivant en Loire moyenne) s'est ajoutée aux autres variables à partir de 1995. Sur cette période de moyen terme (1995-2001), caractérisée par des eaux relativement basses, les teneurs en oxygène dissous ne sont plus liées aux algues dont la densité est corrélée positivement à la DBO5, ce qui sous entend que les processus de décomposition prennent de l'importance. Durant cette période, tandis qu'une baisse progressive des Chlorophycées se dessine, la corrélation positive entre ces algues vertes et les rotifères, suggère que si ces derniers sont susceptibles de les réguler, la nourriture algale n'est pas limitante. Le potamoplancton demeure dans l'ensemble bien diversifié. Les rejets d'eau chaude, qui se sont considérablement atténués au cours du temps, de par l'évolution de la conception des nouvelles centrales, ne paraissent pas affecter les communautés vivantes. Au cours de ces dernières années, celles-ci ont été exposées à des perturbations de l'environnement de courte durée (résiduels de chlorations, déplacements de matériaux en suspension). L'environnement local contribue à l'hétérogénéité de distribution du potamoplancton et l'examen attentif de la base de données a permis d'illustrer ses fortes capacités de récupération. L'effet des chlorations sur les algues s'est estompé en moins d'un mois et la diversité spécifique des rotifères s'est rapidement rétablie. Les nuisances liées à différents travaux de terrassement (pont de Loire en amont, pose de diffuseur par EDF, etc.) ont été diversement ressenties : la densité des rotifères a été affectée avant de se rétablir à nouveau et l'impact visuel des films bactériens a perduré localement plusieurs années. Ces données de base recueillies sur 20 années s'avèrent représenter un outil de travail pertinent pour définir ce que doit être "le bon état écologique" de ce secteur de Loire, à atteindre à l'horizon 2015, pour satisfaire à l'objectif de la Directive Cadre Européenne sur l'eau. Le bilan actuel illustre tout l'intérêt de disposer de longues séries de données : cette étude a montré qu'au cours de ces dernières années il s'est produit une diminution significative de la quantité d'algues, mais aussi des teneurs en oxygène dissous. En outre, elle a permis de mettre en évidence que les communautés potamoplanctoniques demeurent bien diversifiées et que le système biologique, observé dans ce secteur largement eutrophe de Loire Moyenne, est résilient