La communication et l’indicible dans l’œuvre de Simone Weil : la littérarité de sa philosophie

La critique entourant l’œuvre de Simone Weil s’est renouvelée au point de reconnaître la valeur irremplaçable des Cahiers, ainsi que l’ornementation textuelle qu’ils laissent apercevoir. Cette étude cible la relation entre l’indicible et la littérarité – la poéticité d’une œuvre philosophique. Elle démontre le recours des Cahiers à la rhétorique sous-jacente à leur expression mystique afin de soutenir que la présence du littéraire y est nécessaire et intrinsèque, en plus de souligner une difficulté langagière. Ayant recours à la narratologie, nous élucidons premièrement l’opposition weilienne entre la pesanteur, la terre et la grâce. L’art de questionner, les questions dialectiques et éristiques et la maïeutique s’emploient vitalement dans les Cahiers : la plurivocité des rôles accordés à l’auteur–allocutaire/l’interlocuteur–énonciateur/le locuteur ainsi que l’équilibre fragile de leur concordance concourent à une mise au jour du dilemme mystique. Ensuite, nous examinons les métaphores filées – l’absence, l’écran, le levier, l’harmonie et la séduction mystique – qui parcourent l’œuvre weilienne. C’est une construction délibérée, développée et ainsi poétique, indiquant une difficulté d’expression ou un désir d’embellir le texte. La beauté et la philosophie singulière des Cahiers proviennent surtout d’une « métaphorisation » de l’indicible – du pont entre la pensée et le monde. Enfin, les innombrables mythes religieux, littéraires, fabuleux et grecs qui traversent l’œuvre, participent à l’indicible et l’explicitent, car Weil ne les considère pas comme mythiques, mais comme vérité. La recherche du transcendant à travers eux revendique la littérature comme traductrice de l’indicible. L’imagerie des Cahiers se nourrit de fragments, d’extraits et d’allusions intertextuels, qui « préfigurent » parfois le Christ, car le syncrétisme weilien est indissociable de son mysticisme. Cette prépondérance de l’intertextualité dans les Cahiers souligne leur appartenance au champ esthétique. Souhaitons qu’ils soient davantage étudiés comme poétique : il est temps de reconnaître enfin la place d’une grande prosatrice du vingtième siècle.Ph