L'officiel et l'homme de paille : les « deux Voltaire » de la société française face au retour du fait religieux

International audience« Voltaire a eu bien des réputations, la plupart d’entre elles injustifiées. » La formule de Peter Gay n’a rien perdu de sa pertinence vingt ans plus tard. Il semble que depuis que le nom de Voltaire fût connu en France chacun se soit fait une opinion grossière du personnage. L’adorateur comme le critique trouveront dans l’oeuvre et la vie de Voltaire assez d’arguments pour composer deux ou trois volumes de libelles ou d’eulogies, selon leur goût ou leur dégoût. « Il n’est pas sûr que de tels clivages aient disparu au XXème siècle » estimait René Pomeau ; cela n’est pas moins vrai au XXIème siècle. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les sciences sociales ont produit un nombre considérable de travaux concernant ce « retour du fait religieux » qui sature aujourd’hui l’espace public. La croissance de l’Islam et le réveil d’une certaine culture chrétienne en France, que l’on assimile souvent à des réponses au désenchantement du monde (Weber, 1964) doivent aussi beaucoup aux évolutions démographiques et à la multiplication du phénomène terroriste. Cette émulsion dangereuse devait rappeler notre philosophe au rempart de la tolérance et de la lutte contre le fanatisme ; mais elle l’a également mené à une contestation morale et philosophique de la part de certaines associations ou personnalités. La mythologie républicaine a construit l’image idéalisée d’un Voltaire aimable, spirituel et modèle de la tolérance et de la liberté d’expression. Ce Voltaire officiel, cependant, est devenu l’objet d’une vague de critiques provenant pêle-mêle de mouvements religieux, politiques, associatifs et surtout conspirationnistes, chez qui la simplification historique, conséquente d’un regard moralisateur sur l’Histoire, s’est mue en pratique autorisée. Le Voltaire de Candide devient le Voltaire esclavagiste ; le sauveur des Calas devient l’antichrétien opportuniste ; le champion de la tolérance devient celui de l’intolérance et l’oppressé devient l’oppresseur. On se propose dans cet article d’analyser deux perceptions antagonistes de Voltaire, en attachant une importance particulière aux objectifs et aux présupposés idéologiques des portraitistes enthousiastes et adversaires de Voltaire dans une période de regain du fait religieux