‘De trop dans son milieu’. Les demandes de placement d’enfants à l’initiative des familles (Belgique, 1912-1965)

Parmi les actes et comportements susceptibles d’amener un mineur devant le tribunal des enfants, nouvelle juridiction installée par la loi du 15 mai 1912 sur la protection de l’enfance, les parlementaires belges ont prévu l’inconduite ou l’indiscipline. Les mineurs qui, pour reprendre les termes de la loi, « donnent de graves sujets de mécontentement à leurs parents, à leurs tuteurs ou aux autres personnes qui en ont la garde » (article 14, limité à 18 ans) peuvent être traduits devant le juge des enfants et placés dans une institution sur décision de celui-ci. Derrière ces enfants indisciplinés se cachent autant de familles sous tension, que les enquêteurs tentent de saisir par-delà les stratégies de présentation adoptées par les uns et les autres. Du fait de l’ambition protectionnelle de la loi, magistrats et auxiliaires de justice s’intéressent en effet tout autant à l’enfant qu’à la famille qu’il mécontente. Quelles sont motivations avancées par les parents qui demandent l’intervention du juge, révélatrices tantôt des difficultés qu'ils rencontrent dans son éducation au quotidien, tantôt des arguments dont ils pressentent l’efficace auprès des magistrats ? Quel accueil les tribunaux réservent-ils à ces plaintes, tout particulièrement lorsque l’enquête sociale révèle, derrière la stigmatisation d’un enfant supposé difficile, un projet d’exclusion et de reconfiguration du ménage, ou tout simplement l’incapacité à faire face durant des moments d’incertitude et de grande vulnérabilité (problèmes financiers, séparations, décès, hospitalisation). Le constat que dans bien des cas, l'enfant au coeur de la procédure n'est pas le seul facteur de dysfonctionnement de la famille remet-il en question la légitimité d'une action judiciaire pourtant centrée exclusivement sur ce dernier ? Voilà quelques questions que cette contribution propose d’aborder, sur base d’une analyse des dossiers de la pratique (dossiers des tribunaux de Namur et de Bruxelles) et de l'abondante littérature laissée par les magistrats de l'époque