Ne plus passer inaperçu·e: Le tatouage facial : entre fascination et rejet

International audienceLe tatouage est certainement l’une des modifications corporelles la plus étendue et connue de par le monde, pourtant, on ne se tatoue pas le visage comme on se tatoue le bras. L’image humaine se résume souvent au visage, il représente notre rapport au monde, il est le lieu de la reconnaissance et de la légitimité d’être où tout est exprimé. « Non, non, pas le visage, non ! » s’écrie le public lorsque dans la performance Le lait chaud, Gina Pane vêtue de blanc s’entaille le dos, puis les joues. Nous sommes en 1973, le visage est tabou, et semble l’être toujours, même si nous ne pouvons nier, non pas une banalisation, mais une démarginalisation des tatouages faciaux, survenue en occident au tournant des années 2000 voire 2010. Le visage s’oppose en effet à d’autres zones du corps puisqu’il relève du public, là où le reste du corps, privé, ne se dévoile que dans l’intimité. Comme le note le sociologue Philippe Liotard, le tatouage facial « saute littéralement aux yeux d’autrui » et crée une architecture et une répartition des formes nouvelles en son centre. Suscitant une véritable passion scopique, la personne au visage tatoué devient alors le centre d’une attention qui la condamne à être regardée et à ne plus pouvoir passer inaperçue dans les espaces publics. Ainsi tatoué, le corps devient selon ORLAN « le lieu d’un débat et d’explorations » : l’acte de transformation devient sujet de discussion, sur ce que l’on peut faire ou non du corps, des débats qui aboutissent surtout au rejet. En effet, même si la relation aux modifications corporelles a évolué, le corps modifié a toujours une connotation sociale péjorative. Il existe par ailleurs une hiérarchie des parties du corps, et une gradation des actes de modifications qui font du visage une ultime zone sur laquelle il ne faudrait pas intervenir de manière irréversible. Le tatouage facial se présente comme un cap à ne pas franchir, sous peine de créer une rupture sociale définitive. Cette communication se propose d’analyser à partir d’une sélection de portraits et d’œuvres artistiques, comment le tatouage facial, en mettant en place une nouvelle structuration du visage, induit un attrait du regard de l’autre qui ne permet plus à la personne tatouée de passer inaperçue en présence d’autres individu·e·s. Loin de simplement costumer la peau comme le pense France Borel, le tatouage sur le visage, en changeant radicalement et définitivement le corps, suggère également une modification de la personne. Nous verrons alors en quoi ce passage d’un état physique à un autre est vécu de l’extérieur comme une transgression des normes sociales, alors que pour la·le tatoué·e, le tatouage n’est que le reflet de changements profonds préexistants à la marque