Gouvernement des corps et redéfinition des politiques de santé infantile: l’allaitement entre normes concurrentes et stigmatisation maternelle

L’état nutritionnel des enfants est une préoccupation publique ancienne et le mode d’alimentation des nourrissons est un aspect de la vie familiale qui a fait l’objet d’une importante intervention étatique (Rombanet,). Cette intervention s’est largement appuyée sur les normes savantes véhiculées par un ensemble d’experts fortement médicalisés qui ont contribué à « dépolitiser » le discours sur l’allaitement en le présentant comme évident (Fairclough, 1992). Peu encouragé au cours du XXème siècle en France, l’allaitement maternel fait l’objet d’un regain d’intérêt public à partir du début des années 2000. L’incitation à allaiter est ainsi remis à l'agenda politique avec l’instauration du programme National Nutrition Santé (PNNS) en 2001. En France, la mise en place d’une politique nationale en faveur de l’allaitement s’appuie à la fois sur des normes juridiques issues du droit international et de l’Union européenne mais surtout sur des études scientifiques relayées par des lobbies dont plusieurs associations particulièrement actives (Leche League…). Cette politique véhicule un discours qui tend à exclure le père des soins prodigués aux enfants en présentant la mère comme seule responsable de la santé et du bien-être de l’enfant tout en minimisant ? l’influence des conditions sociales dans lesquelles se déroule l’accueil de l’enfant. En exigeant une forte disponibilité maternelle, elle entre par ailleurs en contradiction avec d’autres politiques qui encouragent une reprise rapide du travail féminin après la naissance sans garantir les conditions satisfaisantes pour concilier allaitement etexercice d’une activité professionnelle. Comment les pratiques d’allaitement des mères se situent-elle par rapport à ces normes et comment les mères concilient elles ces normes avec leur expérience? Cette communication associe un volet théorique qui s’interroge sur les nombreuses institutions et les différents acteurs qui ont participé à la mise en place de cette nouvelle forme de « bio-politique » et de « gouvernement des corps » et un volet empirique qui s’intéresse à la façon dont les destinataires, les mères essentiellement, appliquent ou rejettent cette forme de normalisation qui tend à devenir un support de l’identité maternelle. Dans ce dernier volet, nous articulons une démarche quantitative, à partir des données de l’Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance (Elfe), et une approche qualitative, à partir d’entretiens, pour mettre en regard les événements factuels (distribution des pratiques d’allaitement des mères par rapport aux normes) et le sens que leur donnent les enquêtées (justification des mères pour expliquer leur pratique)