Note d’actualité – Du plomb dans l’aile pour l’État de droit ? Analyse du discours du nouveau président de la Cour suprême de justice d’Argentine, Carlos Rosenkrantz

Le constitutionnalisme du XXe siècle sonne, de nos jours, comme une évidence. La suprématie de la Constitution nationale est devenue une règle traditionnelle, une banalité pour ainsi dire, qui participe à la réalisation de l’État de droit. Suivant cette logique, le droit et plus précisément le droit constitutionnel, s’impose aux gouvernants, aux élus qui exercent le pouvoir de manière transitoire. Quand bien même les élus de la Nation sont désignés de manière démocratique et les lois sont adoptées à la majorité, encore faut-il, suivant le schéma de l’État de droit et de la hiérarchie des normes, que ces lois soient conformes à la Constitution. Pour s’assurer de l’effectivité de ce schéma, ont été développés des moyens de contrôle de constitutionnalité des lois. Cette présentation théorique est désormais si ancrée qu’elle est présentée sous la forme de deux modèles courants (le modèle américain et le modèle européen de justice constitutionnelle). Quel que soit le modèle adopté, le juge constitutionnel fait figure de rempart contre les risques d’atteinte aux droits fondamentaux. Mieux, il symbolise la concrétisation de l’État de droit, de l’État « moderne » suivant l’expression du professeur Guy Braibant. Pourtant, ces dernières années, la logique de l’État de droit semble de plus en sujette à des remises en cause. Le récent discours du nouveau président de la Cour suprême de justice d’Argentine, Carlos Rosenkrantz, contribue à donner le sentiment d’un État de droit éprouvé. Il a effectivement affirmé que « la loi ne doit être déclarée inconstitutionnelle que dans des cas exceptionnels » et prône le self-restraint du juge ainsi qu’une déférence au législateur.Certes, il ne fait aucun doute que la loi, en tant que norme adoptée par les parlementaires, dispose d’une légitimité exceptionnelle. Elle est un symbole de l’expression démocratique, « expression de la volonté générale » selon les termes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’on peut dont s’accorder sur le fait que le prononcé d’une inconstitutionnalité de la loi par un juge n’est pas neutre. Aussi, veiller à limiter l’activisme du juge constitutionnel peut être perçu comme une marque de prudence. Pour autant et malgré cette forte légitimité de la loi, la logique de l’État de droit qui a mis fin au légicentrisme suppose et impose que la loi reste, dans tous les cas, conforme à la Constitution