Foule solitaire et nostalgie de la communauté

L'un des événements les plus frappants de ces dernières années a été l'émergence de petits groupes communautaires dans la société post-industrielle de l'Occident. Notre humanité qui s'était ralliée à l'idéologie du progrès infini des sciences et des techniques, qui se félicitait d'avoir désaliéné l'homme par rapport à un « dieu vampyre », réhabilite l'homme en tant qu'« être de désir », démystifie la fascination exercée par la technique, élabore une contre-culture fondée sur la jouissance et l'extase, sur l'inhumain et le blasphème. De la théologie de la sécularisation, qui avait abouti à une légitimation du monde profane, on est passé à une théologie de la fête et de la danse, de la fusion communautaire et du retour à la nature. Il convient d'étudier les motivations qui sont à l'origine du renouveau du mouvement communautaire et de tenter de classer des expériences extrêmement diverses. Pour ce faire, nous avons analysé successivement les modalités économiques, la répartition du pouvoir et de l'autorité, la quête du plaisir et la relation au temps vécu dans les communautés. Le phénomène communautaire nous rend attentifs aux ruptures et aux « déstructurations cachées » qui fissurent la société globale. La multiplication des dissidences sociales constitue une tentative de séparation et d'innovation. Cependant si les communautés constituent une « affirmation vécue de la critique sociale », si la sous-culture ainsi ébauchée apparaît comme une caricature inversée de la société de l'efficace, du profit et de la consommation de masse, il semble que la dénonciation de toute organisation sociale, la stimulation artificielle de l'imaginaire, le refus du travail souvent perçu comme insignifiant ne soient en fait qu'une régression vers la horde primitive.Raphaël Freddy. Foule solitaire et nostalgie de la communauté. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 55e année n°3,1975. pp. 387-415