Ce monde que nous ne pouvons que reproduire. Regard sociologique sur le carnaval étudiant de Caen

International audienceHistoriquement, le carnaval est un temps d’inversion des valeurs. En reflétant l’institué, il incarne sur un temps court, un « moment » de l’instituant. Dans son ouvrage Fêtes et civilisations, le sociologue et anthropologue Jean Duvignaud expliquait la façon dont cette brèche s’était refermée, symptôme d’un monde que nous ne pouvons plus détruire.Le carnaval étudiant de Caen nous semble être un analyseur intéressant pour comprendre les mécanismes d’enrôlement et d’adhésion à la contemporanéité du capitalisme néolibéral. À partir d’une ethnographie du plus grand carnaval étudiant d’Europe nous avons pu observer que le discours, les mobilités spatiales, les références culturelles et les dispositifs sécuritaires, révèlent en fait non pas un « moment » instituant comme aurait pu le dire René Lourau, mais la grammaire normative du social. En ce sens nous pouvons dire que le carnaval tel qu’il se joue à Caen ne peut plus être un espace-temps oppositionnel, mais au contraire transpire l’institué. Plus qu’un monde que nous ne pouvons plus détruire, les dispositifs institutionnels, les discours et la pratique des acteurs laissent penser que nous sommes face à un monde que nous ne pouvons que reproduire.Cependant, si le carnaval étudiant de Caen ne porte plus en lui l’essence subversive et transgressive de la fête, il demeure, par la Mimèsis, un analyseur du contrôle social, de la domination du temps linéaire sur le temps cyclique, et de la production d’un espace de dépossession. L’entre-soi des corporations étudiantes et l’idéologie de l’ivresse, symptôme du primat contemporain de l’individu, du repli et de la négation de l’altérité, indiquent quelque part la perte du commun. Par ailleurs, si Georges Balandier voyait déjà le carnaval comme un temps de désordre éphémère pour consolider l’ordre, le carnaval étudiant de Caen, par les dispositifs d’encadrement et les campagnes promotionnelles, nous semble bien ordonné.Que reste-t-il alors de la fête, du sacré et du cyclique, de la transgression, devant la mobilité et le temps linéaire, devant les références aux produits des industries culturelles, devant la transe morbide de l’ivresse vécue seul, et devant les dispositifs de contrôle et de sanitarisation, sinon un carnaval qui n’est plus autre chose qu’une fête bien policée. Source : La Forge numérique http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/forge/3168 (consulté le 18/12/2019