L'attrait du flou + On the History and Aesthetics of Blur in Film

International audienceLe flou, dans son acception commune, est d’abord le signe d’une déficience, un manque de définition. Aussi le langage cinématographique, dans ce qu’il a de plus convenu, nous a-t-il habitués à considérer le passage du flou au net comme une forme d’actualisation : la forme floue, l’image bougée, sont de simples substrats de l’image nette et stable dans laquelle elles s’accomplissent et se stabilisent, en attei- gnant, dans l’idéal, la précision de contours et de détails propre à la HD. Tout semble pourtant prédisposer l’image de cinéma au flou : captée et perçue dans la durée, soumise aux variations de la lumière et du mouvement, elle est aussi sujette à toutes sortes de métamorphoses optiques et chimiques qui déclinent à l’infini la palette du vague, du brumeux, du filé.Entre évanescence et opacité, le flou tantôt tire l’image vers l’immatériel (c’est pourquoi le fantôme hante volontiers les zones floues de l’image) ou vers la matière (vers le pictural). Il est sensation, translation de la vitesse ou des mouvements du corps à l’image, glissement de la vision vers le toucher, perception du chaos extérieur. Mais il est aussi aussi manifestation de l’image mentale, du rêve, de la réminiscence. Le flou inscrit enfin l’image de film dans un champ artistique ouvert : flou d’ensemble, il brouille la frontière entre cinéma et peinture ; flou d’apparition (de mise au point), il renvoie le cinéma à ses origines photographiques, argentiques – à l’émergence progressive de l’image sous l’effet du révélateur – et à l’orchestration du désir de voir.Dans la mesure où elle exclut toutes les formes irréalisées de l’image floue, l’image nette n’en est-elle pas, au bout du compte, une version appauvrie ?Blur, in its common acceptation, is synonymous with deficiency, a lack of definition. Thus, conventional cinematographic language has accustomed us to liken the transition from blurred to defined image to a form of actualisation: the vaguely contoured figure, the blurry shape, are considered mere substrates of the clear and distinct image in which they finally materialize, ideally achieving stability as well as the precision of outlines and details that meet the standards of High Definition.Yet everything seems to predispose the film image to blur: captured and perceived through time, sensitive to variations of light and movement, the moving image is also subject to all kinds of optical and chemical metamorphoses that bring about the fluctuating palette of the vague, the misty, the cloudy.Blur pulls the image toward evanescence or opacity, the immaterial (from its very beginnings, the film image has harbored the hazy silhouettes of ghosts) or the material (the visceral, the haptic and synesthetic). Blur is sensation, the translation of speed or bodily movements to the screen, a shift of the visual towards the tactile, a manifestation of external chaos and the lurking horror of formlessness. But it is also an expression of mental states and emotions, anxiety and elation, hallucinations, dreams and reminiscences. Blur reveals film’s intermedial nature: on the one hand, sfumato, impressionistic and distorting effects pull the film image towards the painterly. On the other, where it determines the process of appearance of a figure, blur reminds us of the film image’s photographic origins - the progressive emergence of the latent image under the effect of the developer. Ultimately, blur is the orchestration of the desire to see.In sum, if the fuzzy, vague, or formless is an expression of potentiality, then is the fully defined image not, in the end, but an impoverished version of the blurred image