La mobilité professionnelle en France entre 1959 et 1964

Le présent article est le premier d'une série qui rendra compte des résultats de l'enquête « Formation et qualification professionnelle », effectuée fin 1963 début 1964 par l'I.N.S.E.E. Cette enquête figurait au programme des « enquêtes statistiques prioritaires » arrêté par la Commission de l'économie générale et du financement du Plan ; elle répond à différents besoins d'information concernant la main-d'œuvre. En premier lieu, il était nécessaire de compléter les données sommaires du recensement général de la population de 1962 sur le degré d'instruction par une description détaillée de la formation acquise, qu'elle soit générale ou professionnelle, scolaire ou post-scolaire, sanctionnée ou non par un diplôme. C'est l'objet de la partie III du questionnaire reproduit en annexe, dans laquelle les intéressés ont été invités à reconstituer l'histoire et les conditions de leur formation, année par année ; pour caractériser les carrières scolaires, en plus de codes détaillés, on a utilisé deux codes de synthèses. Le premier permet de dénombrer les personnes ayant suivi les principales filières aboutissant aux diverses sorties du système d'enseignement, avec ou sans succès à l'examen correspondant ; le second caractérise le niveau déformation de chaque personne, en ne prenant en considération que les diplômes obtenus. Cette partie du questionnaire doit apporter quelque lumière sur la nature et l'importance des études post-scolaires, la nature des organismes qui les dispensent, leur relation avec la promotion professionnelle. En second lieu, cette enquête doit contribuer à l'orientation du système de formation de sorte qu'il réponde au mieux aux besoins de main-d'œuvre à moyen terme, par qualification ou niveau de formation. L'équilibre du marché du travail au ternie de la période de projection, dans quinze années par exemple, résultera de la confrontation de l'offre d'emplois et des ressources par qualification ; celles-ci proviendront d'une part de l'offre de travail de la population déjà engagée à l'heure actuelle dans une activité professionnelle et d'autre part de l'offre des personnes — essentiellement des jeunes — qui rentreront sur le marché du travail durant la période considérée. Pour évaluer, au terme de la période, les ressources provenant des personnes actuellement actives, il faut disposer d'informations sur leur mobilité professionnelle probable au fur et à mesure qu'elles avanceront en âge ; c'est la raison pour laquelle l'enquête a été consacrée en grande partie à l'observation de la mobilité professionnelle dans la période récente. On a choisi de comparer les activités exercées à cinq ans d'intervalle, à l'époque de l'enquête et au 1er janvier 1959 (parties I et II du questionnaire), ce qui doit permettre de faire des projections par bonds de cinq ans. Indépendamment de ses applications à la projection des ressources en main-d'œuvre, l'analyse de la mobilité professionnelle est intéressante du point de vue de la sociologie du travail et de l'étude des conditions dans lesquelles la main-d'œuvre peut s'adapter à l'évolution des structures de la production sous l'effet du développement économique ; c'est à ces derniers aspects de la mobilité professionnelle que ce premier article est consacré ; la population active française connaît des changements nombreux : 29 % des actifs et 24 % des actives ont vu se modifier leur situation professionnelle en cinq ans. Parmi ces modifications, le changement d'établissement employeur est de loin le plus important : il affecte 20 % des actifs et 19 % des actives. Près de 2.000.000 d'individus ont changé de profession en cinq ans. La mobilité professionnelle est un phénomène de jeunes mais néanmoins garde une certaine importance jusqu'à 45-50 ans. La généralisation du statut salarié se réalise plus par le jeu des entrées et des sorties dans l'activité que par des mutations d'individus déjà engagés depuis un certain temps dans une profession. La population masculine active depuis plus de cinq ans a tendance à passer du salariat aux statuts d'employeurs ou d'indépendants. 1.350.000 individus ont changé de catégorie socio-professionnelle (ou de qualification) en cinq ans. Ces changements ne correspondent pas tous à des promotions dans l'échelle des qualifications : 160.000 ouvriers et ouvrières ont régressé dans la catégorie des ouvriers en cinq ans. En ce qui concerne les jeunes qui rentreront sur le marché du travail avant le terme de la projection, il est nécessaire d'avoir des indications sur la manière dont se distribuent sur les différentes activités les personnes qui possèdent une certaine formation, et notamment des renseignements sur les « pertes », c'est-à-dire sur les personnes dont la profession ne correspond pas au niveau de quali fication acquis ou sur les femmes qui renoncent à exercer une activité. La confrontation des activités exercées et de la formation reçue est essentiellement utile pour les jeunes ; c'est pourquoi la IIIe partie du questionnaire n'a été soumise qu'aux personnes nées depuis 1918. De toute manière, il aurait été difficile de reconstituer la carrière scolaire des personnes plus âgées, compte tenu des défaillances de mémoire et des modifications du système d'enseignement, surtout en ce qui concerne la formation professionnelle et technique ; pour les personnes nées avant 1918, on s'est contenté d'enregistrer le diplôme le plus élevé, séparément pour l'enseignement général et pour la formation professionnelle ou technique. La cinquième partie du questionnaire doit permettre d'étudier les relations entre les revenus professionnels et les activités exercées ou la formation reçue ; elle a été limitée aux revenus salariaux, puisqu'il n'est pas possible dans ce type d'enquête d'espérer des renseignements valables sur les revenus non salariaux. Enfin l'enquête donne accessoirement des indications sur la mobilité sociale, des questions ayant permis de noter la situation professionnelle du père au moment de l'achèvement des études. Ces différents aspects de l'enquête feront l'objet d'autres articles.Praderie Michel, Passagez Monique. La mobilité professionnelle en France entre 1959 et 1964. In: Etudes et conjoncture - Institut national de la statistique et des études économiques, n°10, 1966 (21ᵉ année). pp. 3-163