La parole aveugle. L'Apocalypse ou le moment spectral dans l'écriture de Blanchot

L’œuvre critique et romanesque de Blanchot puise avec profusion dans le réservoir sémantique et métaphorique de l’Apocalypse de Jean. Le dispositif d’images, grâce auxquelles la révélation est possible, est toujours accompagné d’une voix « hors champ », anonyme, qui produit des messages. Si, à l’origine, ces messages avaient un centre et un but - le dévoilement d’une vérité révélée -, au fil du temps ils se perdent dans une immense prolifération communicative qui transforme le modèle apocalyptique. La fin imminente devient immanente de sorte que l’Apocalypse se convertit en mythe de Crise. L’attention est alors portée sur les avant-derniers temps où les renvoies permanents produisent une usure de la fin qui devient transition sans fin. L’impossibilité de conclure devient, donc, le paradigme qui fait éclater le récit fictionnel de la fin (Kermode, The sense of an ending). Le but de mon exposé est de montrer, au fil des certains récits de Blanchot tels que L’attente l’oublie, Le ressassement éternel, La folie du jour, non seulement que l’Apocalypse repose en hypotexte dans ces récits, générant un nouveau type d’écriture (par rapport aux romans), mais qu’elle fournit tout un dispositif d’images. Ces images sont toutefois complètement chavirées par Blanchot. Elles circulent dans les textes sous forme désemantisée, elles sont presque des images vidées, des phantasmata. Ces images spectrales qui hantent les textes jouent alors un rôle capitale dans l’économie de l’écriture littéraire qui oscille entre cécité et parole, impossibilité de vision et possibilité (bien que toujours fragile) d’écriture. Le ressassessement éternel le montre très bien. Dans une dernière vision le protagoniste du récit fait l’expérience d’un aveuglement, une cécité qui n’annonce pas la mort, comme il avait espéré, mais le commencement d’une autre vision qui ouvre vers une lumière éblouissante, celle de la « folie du jour ». Il s’agit d’une dernière vision-révélation que dans une image affreuse nous laisse entre-voir la spectralité du temps de la fin, brider dans un temps qui reste toujours ouvert, mais aussi la spectralité du jugement, toujours suspendu sur l’abîme du désastre : « Il me semblait que mes yeux enfin s’étaient fermés. Ils me brûlaient, je ne voyais rien ; ils me consumaient et cette brûlure me rendait le bonheur d’être aveugle. La mort, pensais-je. Mais alors le pire arriva. Au fond des mes yeux sans vue se rouvrit le ciel qui voyait tout, et le vertige de fumée et de larmes qui les obscurcissait s’éleva jusqu’à l’infini, où il se dissipa en lumière et en gloire. Je me mis à balbutier ». Ce balbutiement final n’est alors rien d’autre que la métaphore de l’écriture qui essaie de dire ce qu’elle ne peut pas décrire, l’attente infinie de ce qui ne semble pas venir : la fin, l’Apocalypse