Homère et l'écriture

One of the favourite themes of Homeric research in the last sixty years has been about the importance of oral tradition in the composition of the Iliad and Odyssey. M. Parry's works and those of his follower A. B. Lord have widely spread the idea that the two poems have been composed without the help of writing: (more or less convincing) parallels have been called upon, particulary among Yugoslav bards, to show that long-term works could have been born without their authors' need to write them. To get to the heart of those arguments would presume a competence in comparative literature and in ethnology that very few Hellenic scholars possess. Therefore I will not venture on to this ground. My purpose is to draw philologists attention to small number of meaningful facts. The oldest Greek inscriptions in alphabetical writing belong to the second half of the eighth century B.C. Several of them testify that the practice of a literay language was already widespread. Some refer to episodes even to precise passages of the epic. Those pieces of evidence conform the now generally received opinion that the two Homeric poems were born at the same period while alphabetical writing was already well known. Is it likely that an ambitious and competent poet who has devised a complex and vast work - strongly linked by preparations and flashbacks which conditioned its dramatic value in the opinion of the audience - has not used a technique as easy as the alphabetical writing to relieve his memory and handle the internal cohesion of his poem securely ? Herodotus (V, 58) speaks of diphterai "goats or sheep skins" which were used before papyrus as a support to writing among Ionians. Aristotle (Poetics, 1459b) declares that the Iliad and Odyssey can provide each only one thema for a tragedy (or two at the utmost) while the Cypria or the Unie Iliad offer many. This underlines the essential nature in Homer of a strict construction of the plot. A written support was needed to get this result. Homer's two poems are the fruits of a meeting of genius and writing.Un des thèmes de prédilection de la recherche homérique dans les soixante dernières années a été l'importance de la tradition orale dans la composition de l'Iliade et de l'Odyssée. Les travaux de M. Parry et de son émule A. B. Lord ont assez largement accrédité l'idée que les deux poèmes ont été composés sans le secours de l'écriture : des parallèles (plus ou moins convaincants) ont été invoqués, en particulier du côté des bardes yougoslaves, pour montrer que des oeuvres de longue haleine avaient pu naître sans que leurs auteurs aient eu besoin de les écrire. Discuter au fond la valeur de ces arguments supposerait une compétence en littérature comparée et en ethnologie que bien peu d'hellénistes possèdent. Aussi n'est-ce pas sur ce terrain que je me placerai. Mon propos est d'attirer l'attention des philologues sur un petit nombre de faits significatifs. Les plus anciennes inscriptions grecques en écriture alphabétique appartiennent à la seconde moitié du VlIIème siècle avant notre ère. Plusieurs d'entre elles témoignent que l'usage d'une langue littéraire analogue à la langue épique et de la versification hexamétrique était déjà répandu. Certaines font allusion à des épisodes, voire à des passages précis de l'épopée. Ces témoignages renforcent l'opinion, généralement admise aujourd'hui, que les deux poèmes homériques sont nés à cette même époque, alors que l'écriture alphabétique était déjà bien connue. Est-il vraisemblable qu'un poète ambitieux et compétent, ayant conçu une oeuvre complexe et d'une grande ampleur, fortement liée par des préparations et des retours en arrière, qui conditionnent sa valeur dramatique aux yeux de l'auditoire, n'ait pas employé une technique aussi commode que l'écriture alphabétique pour soulager sa mémoire et ménager sûrement la cohérence interne de son poème ? Hérodote (V. 58) parle des diphtères, "peaux de chèvres ou de moutons", qui furent utilisées avant le papyrus comme support de l'écriture chez les Ioniens. Aristote (Poétique, 1459 b) déclare que l'lliade et l'Odyssée ne peuvent fournir chacune qu'un sujet de tragédie (ou deux au plus), tandis que les Chants cypriens ou la Petite Iliade en offrent beaucoup. C'est souligner le caractère essentiel, chez Homère, de la construction rigoureuse de l'action. Il fallait l'aide du support écrit pour obtenir ce résultat. Les deux poèmes d'Homère sont le fruit de la rencontre du génie et de l'écriture.Chamoux François. Homère et l'écriture. In: L'Univers épique : rencontres avec l'Antiquité classique. Tome II. Besançon : Université de Franche-Comté, 1992. pp. 11-18. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 460