L’Absence de l’utopie en amour : la passion et la communauté dans L’Éducation sentimentale

En octobre 1864, Flaubert écrit sur le projet de son prochain roman : « Je veux faire l’histoire morale des hommes de ma génération ; ‘‘sentimentale’’ serait plus vrai ». Comme le montre bien Michèle Crouzet, le mot « sentimentale » désigne alors la mentalité de 1848 qui relie et unifie deux domaines distincts : la passion politique et la passion amoureuse. Notre objectif est d’élucider la vision de l’auteur sur cette mentalité à la fois politique et morale, en partant des thématiques de l’« adultère » et de la « prostitution » en tant que « communisme sexuel ». En 1864, Flaubert a relu La Philosophie dans le boudoir de Sade. Le philosophe y affirme que « la jouissance de tous les sexes et de toutes les parties de leur corps » doit être permise à tous les hommes et à toutes les femmes : chacun a le droit naturel à assouvir ses propres désirs dans la mesure où ces désirs sont inspirés par la Nature. De ce point de vue sadien, Flaubert dénonce l’erreur morale de l’utopisme socialiste comme du conservatisme bourgeois. Fondés sur la morale néo-catholique –– fraternité et chasteté ––, ils empêchent tous deux l’assouvissement des désirs naturels mais égoïstes de l’individu. Leur erreur commune, c’est l’« antinature » néo-catholique, c’est-àdire la négation sentimentale de l’homme tel qu’il est. En mettant en scène cette tendance d’une manière critique, Flaubert pose une question insoluble : la communauté fondée sur la nature égoïste de l’homme