L’androgyne d’une langue à l’autre : une politique du sujet

Appréhender la question du genre grammatical à travers la figure de l’androgyne, dans deux textes qui ont fait l’objet de plusieurs traductions, revient à interroger le pouvoir de métamorphose du poète, sa capacité à « trouver une langue ». Le texte traduit s’avère être, en effet, un véritable laboratoire de la lecture, où s’aperçoivent les enjeux d’un système grammatical et le sens que l’on peut prêter à des tentatives de subversion de ce système.Le travail de la traduction fait loupe en particulier sur les représentations sexuées, voire sexistes, d’une langue donnée. Cela apparaît clairement lorsqu’on l’étudie « dans tous les sens », du français vers l’anglais dans le cas des Illuminations d’Arthur Rimbaud, et de l’anglais vers le français dans cette autre histoire de « double sexe » lue parallèlement, le récit de Virginia Woolf intitulé Orlando. La lecture croisée des deux œuvres révèle un même processus de reconfiguration des contours identitaires (« Je est un autre », Il est un Elle). La figure de l’androgyne s’inscrit en outre dans un espace-temps bouleversé, méconnaissable, qui affecte deux voies narratives déterminant une véritable politique du sujet : l’écriture de l’Histoire, le plus souvent virile ; et l’écriture de la vie, l’androgynie poétique entendant rompre avec la très suspecte neutralité dont se réclame le biographe fictif d’Orlando.Les écarts de traduction montrent ainsi combien l’espace non seulement social ou historique, mais encore géographique, est déterminé par le genre grammatical, et combien la force émancipatrice d’une œuvre d’imagination androgyne peine à passer les frontières d’une langue donnée.The study of the question of grammatical gender through the androgynous figures in two literary works that have been translated by various authors, leads to the exploration of the poet’s power of metamorphosis, his or her capacity to “find a language” (Rimbaud’s “trouver une langue”). The study of the different translations enables a close analysis of the process of reading, bringing to light what is truly at stake in a grammatical system, and the meaning that may be assigned to the attempts to subvert that system.The examination of the translations especially highlights the sexually defined, even sexist, representations of a given language. This appears clearly when one studies “in all senses/directions” (Rimbaud’s “dans tous les sens”), from French into English Arthur Rimbaud’s Illuminations and from English into French this other story of “double sex”, Virginia Woolf’s Orlando, here read in close parallel with the first. The comparative reading of these two works reveals a similar process of redefining the limits of identity and sexual identity (“Je est un autre”, He is a She). Moreover Rimbaud’s and Woolf’s androgynous figures are placed in an upset, unrecognizable space-time, which undermines two narrative models and their underlying politics of subjective identity: on the one hand the mostly masculine historical narrative, and on the other a life narrative–poetical androgyny aiming to break down the very suspect neutrality put forward by the fictional biographer in Orlando.The differences between the various translations thus show how not only social or historical space, but geographical space as well, are determined by grammatical gender, and how difficult it is for the emancipative power of great creative works to cross the borders of a given language