Maupertuis dans Le Rêve de D’Alembert : l’essaim d’abeilles et le polype

Diderot accomplit dans Le Rêve la construction d’une forme philosophique inédite, celle d’une « cohérence contradictoire » seule capable de soutenir le monisme matérialiste affirmé depuis la Lettre sur les aveugles et pleinement revendiqué dans les Éléments de physiologie. Dans cette aventure, Diderot convoque une assemblée implicite, nombreuse et hétéroclite, dont le foisonnement est favorisé par la forme dialoguée et les jeux d’écriture. Le rôle de Maupertuis y est singulier et ne va pas de soi : la confrontation entre le recours au paradigme du polype et la métaphore de l’essaim d’abeilles respectivement chez Bordeu, Maupertuis et Diderot permet de mesurer la tension que suscite l’auteur de la Vénus Physique dans Le Rêve. Si en effet Maupertuis apporte à Diderot la fécondité d’un modèle d’intégration des parties au tout, tolérant la contingence, avec sa conjecture d’un psychisme des éléments matériels, ce n’est pas sans le confronter à un double risque : celui d’une téléologie qui pourrait basculer dans le cause-finalisme et, à travers l’ombre portée de dom Deschamps, celui d’une métaphysique du Tout dont la compatibilité avec le matérialisme aléatoire reste pour le moins problématique.Maupertuis in the Rêve. The swarm of bees and the polypIn the Rêve, Diderot constructs a completely new philosophical form, a ‘contradictorycoherence’, which is the only one capable of underpinning the materialistic monism that hedeveloped from the Lettre sur les aveugles onwards and openly affirmed in his Éléments dephysiologie. In this undertaking, thanks to the dialogue form and stylistic devices, Diderotimplicitly assembles many diverse characters, amongst whom Maupertuis plays a particularand unexpected role. By comparing the use of the polyp paradigm and the metaphor of theswarm of bees in Bordeu, Maupertuis and Diderot, we can see the tension which the authorof Vénus physique creates in the Rêve. Maupertuis, with his theory of a type of thought inmaterial elements, provides Diderot with the richness of a model of the integration of partsinto the whole, allowing for contingency. But this entails a two-fold danger : on the onehand there is the risk of teleology, which could turn into an acceptance of final causes, andon the other, due to the shadow of Dom Deschamps, that of a metaphysics of All, which itis difficult to reconcile with a random materialism