Croisade, réformation religieuse, politique et morale de la chrétienté au XIVe siècle : Philippe de Mézières (vers 1325-1405)

En un chapitre pénétrant de son Mythe de croisade (1997), Alphonse Dupront évoque de main de maître l’étrange figure de Philippe de Mézières, qualifié en l’occurrence de « solitaire de la croisade ». La performance de Dupront est d’autant plus remarquable qu’à l’époque où il a achevé sa documentation (1956), plusieurs œuvres majeures de Mézières étaient encore inconnues, sauf recours aux manuscrits (une démarche que Dupront n’envisageait pas). Depuis quelques décennies, le chantier mézérien est en plein renouvellement. Le but de l’article est de faire le point en insistant d’une part sur la cohérence foncière des projets de Mézières, penseur fécond autant qu’inlassable homme d’action, et d’autre part sur le grand thème de la « réformation » qui, dans l’esprit de l’auteur du Songe du Vieil Pelerin, devrait concerner tous les descendants d’Adam, chrétiens comme infidèles, bref l’humanité entière, et cela même si ce sont surtout les recommandations relatives à la France qui ont jusqu’ici retenu l’attention des spécialistes.In a particularly convincing chapter of his book, Le Mythe de croisade (1997), Alphonse Dupront affords a masterly evocation of Philippe de Mézières, this intriguing figure he suggests to call a « solitaire de la croisade ». Dupront’s achievement is all the more remarkable that, at the time he put an end to his investigations (1956), before writing his book, several major works by Mézières were still left unprinted. Since about half a century, the number and quality of international researches on Mézières and his age have regularly increased. The scope of the present article is to make use of some of these researches. Indeed, Mézières’attitude, both as a fertile thinker and as a tireless man of action, is obviously coherent. His richest theme, developed at length in his masterpiece, Le Songe du Vieil Pelerin (1389), is the ideal of reform, or reformation, which concerns not only all christian kingdoms, nations and peoples but also the whole mankind, including the Jews, the Muslims and the pagans. His vision is clearly worldwide, even if he is more precise and cogent when he comes to the French case