Éluard portraitiste : de la transgression à la figuration circulatoire

Cet article traite des rapports entre l’instinct scopique propre à la poésie d’Eluard et sa polarisation par l’art du portrait sous les auspices d’une sensibilité à la ressemblance. Centrale dans l’œuvre, celle-ci éloigne d’emblée l’objet ressemblant (souvent la femme désirée), et fait du portrait un travail de transgression et de prédation au terme duquel est constatée l’impossible réduction de l’inconnu au connu. Déplacé autant que régénéré par le geste poétique, démultiplié par là même, l’objet ressemblant exige du coup une circulation des portraits. Portraits de portraits picturaux et portraits fantasmatiques s’invitent pour orienter la description vers une épreuve de la saisie, commentative, suggestive ou évocatrice, de l’invisibilité. Le jeu des représentations oniriques est légitimé par la caducité de l’illusion objectiviste : les images d’images cherchent l’infini de l’apparence, s’immiscent dans l’ouverture des corps à l’illimité et font du portrait une quête de la figure mythique entendue comme incarnation d’une énergie préexistante à toute inscription physique. L’apparition, réelle ou médiatisée par le poème, devient ainsi révélation d’un surplus d’être où l’horizon (au sens husserlien) à sa part, et renvoie à une conception dynamisée de l’identité, appelant la métamorphose. Un cycle d’inclusions réciproques et de substitution envahit le discours, qui reprend les procédés connus du travail inconscient (déplacement, condensation, transfert) mais aussi des techniques de poétique réflexive héritées de Mallarmé qui font ressortir le potentiel conjointement expansif et exclusif de toute chose – avec l’ambivalence qui en découle : le portrait est générateur d’un enthousiasme libérateur autant que d’une expropriation douloureuse de l’œil désireux par l’objet