Chapitre 13. Les migrations, un facteur des soulèvements des « printemps arabes » ?

Résumé : L’articulation entre la question des migrations et les dynamiques sociopolitiques a-t-elle une pertinence dans l’analyse des soulèvements dans le monde arabe ? Dans une démarche de démographie politique, nous examinons comment, au cours des décennies passées, l’impact démographique des migrations a influencé la structure des sociétés de la région et les dynamiques de leur croissance. La « porte ouverte » à l’émigration des chômeurs et des opposants a renforcé les structures de la domination dans les pays de la région. La fermeture des frontières de l’Europe ou la contraction des marchés du travail du Golfe a donc pu stimuler le rejet des régimes autoritaires. L’instrumentalisation politique des migrants a aussi affecté la cohésion des sociétés arabes : les « naturalisations politiques » de migrants sunnites au Bahreïn, la mise en concurrence des travailleurs locaux et étrangers dans le contexte de la transition post-rentière des années 1990 à 2010 au Moyen-Orient dévoilent les divergences de représentation de la citoyenneté opposant les régimes et certains segments de leurs populations. Enfin, les inégalités d’accès à la migration internationale semblent corrélées aux inégalités régionales de développement, par exemple en Tunisie ou en Jordanie.Abstract: The article focusses on the issue of migration and its role in spurring certain sociopolitical features which gave way to the Arab uprisings. Using political demography as a methodological framework, I shed light on the way the demographic impact of migration influenced the structures and dynamics of Arab societies. For instance, the “open door” policy to emigration of the unemployed and potential opponents strengthened the structures of domination in the region. Hence, the progressive closure of European borders and Gulf labor market to Arab youth may have stirred up the massive popular rejection of authoritarian regimes. The political engineering of foreign migrants also affected the cohesion of Arab societies : debates on the “political naturalizations” of Sunni migrants (Bahrain), as well as unfavored competition between local and foreign laborers in the context of the current post-rentier political transition, both emphasize the diverging representations of citizenship opposing certain segments of labor-importing countries’ populations and local regimes. Lastly, regional inequalities in the access to international migration seem in correlation with regional inequalities in development (Tunisia, Jordan)