Le serment de Jacques Ier d’Angleterre : souveraineté royale contre souveraineté pontificale

Lorsque Jacques VI d’Écosse succède en 1603 à la reine Elisabeth comme roi d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier, il se trouve confronté aux mêmes problèmes politico-religieux que ceux de son premier royaume. La dernière des Tudors a légué un héritage complexe depuis l’instauration du nouveau règlement ecclésiastique de 1559. D’un côté, demeure entièrement ouverte la solution à apporter à la dissidence puritaine au sein de l’Église d’Angleterre. De l’autre, doit être réglé le problème beaucoup plus sérieux du catholicisme. Celui-ci est divisé en deux tendances, celle qui incline à un compromis avec la Couronne. Elle est notamment représentée par le clergé séculier. Celle qui refuse tout compromis et souhaite rétablir le catholicisme en Angleterre. Cette tendance est tout particulièrement représentée par la Compagnie de Jésus. Face à ce problème, le roi Jacques, auteur de traités politiques, dans lesquels il défend la théorie du droit divin des rois, peut mettre en pratique celle-ci. L’occasion lui est donnée à la suite de plusieurs complots contre sa personne, notamment le plus décisif, celui du complot des poudres (Gunpowder Plot) le 5 novembre 1605. Il impose un serment d’allégeance afin de pouvoir s’assurer de la loyauté des catholiques qui entendent concilier leur foi avec la fidélité à la Couronne. Ce serment met à nouveau à jour la division de la communauté catholique anglaise. De plus, en raison de plusieurs doctrines catholiques auxquelles doivent renoncer dans le serment (notamment le pouvoir d’excommunication du pape), les fidèles de l’Église romaine, la papauté intervient pour décourager les catholiques de prononcer ce serment. C’est alors que commence une controverse qui va prendre une ampleur européenne, par la parution de la première édition de l’Apologie pour le serment d’allégeance du roi Jacques, le Triplici nodo, Triplex cuneus. Contre ce texte qui dévoile pour la première fois en contexte anglais, les conceptions théologico-politiques du pouvoir royal de Jacques, le pape Paul V demande au cardinal jésuite Robert Bellarmin, de répondre à cette apologie. Par la structure argumentative par laquelle s’oppose les deux protagonistes pour justifier leur plaidoyer en faveur, pour l’un, de la monarchie de droit divin, pour l’autre, de la papauté, ce sont deux interprétations de l’histoire européenne des rapports du temporel et du spirituel qui sont en jeu. A leur insu, elles apportent un précieux indicateur sur la genèse lointaine de la modernité politique et démocratique.When James VI of Scotland succeeded Queen Elizabeth I in 1603 as king of England, under the name of James I, he faced the same politico-religious issues as in Scotland. The last of the Tudors had left him an entangled heritage since the 1559 ecclesiastical settlement. On the one hand, the problem of puritan dissidence was left unsolved; on the other hand, the more serious problem of Catholicism had to be settled. English Catholicism was divided into two trends: the first one – represented by the secular clergy – favoured a compromise with the Crown while the second one – represented by the Jesuits – would have none of it and insisted on having Catholicism restored in England. King James, who wrote political treatises in which he defended the theory of the divine right of kings, could apply it to solve the problem. The opportunity presented itself in the aftermath of several plots against his person, among which the most serious was the Gunpowder Plot of 5 November 1605. He then decided to impose an oath of allegiance in order to make sure that the Catholics who intended to reconcile their faith with their obedience to the Crown would be loyal to him. This oath revealed the division inside the English catholic community. Moreover, inasmuch as the oath forced Catholics to renounce several doctrines of the Roman Church (especially the one dealing with the pope’s excommunicating power), the pope intervened to dissuade Catholics from taking it. That was the beginning of a controversy that took European proportions, starting with the publication of King James’s Apologie for the Oath of Allegiance (Triplici nodo). Pope Paul V asked Cardinal Robert Bellarmine, a Jesuit, to respond to this Apologie, a work which revealed, for the first time in an English context, James’s theologico-political conceptions of royal power. The argumentative structure through which the two opponents debated to justify their pleas (in favour of divine right monarchy for the one, and of the papacy for the other) shed light on two interpretations of the European history of the relations between temporal and spiritual powers. These two visions, unbeknownst to their authors, give us a valuable testimony of the ancient genesis of democratic and political modernity