« La Pourpre en croix » : Figures du Roi-Martyr et post-figuration du Christ dans Carolus Stuardus, tragédie allemande d’Andreas Gryphius (1657/1663)

Seule tragédie du Silésien Andreas Gryphius (1616-1664) à prendre pour sujet un événement contemporain, Carolus Stuardus est aussi la seule dont l’auteur ait livré deux versions distinctes, l’une composée peu après l’exécution du roi, l’autre profondément remaniée après le rétablissement de la monarchie. Si la pièce s’inscrit dans la tradition du drame de martyr, elle en pousse très loin les ressorts dramatiques : intégrant à l’action les faits historiques survenus entre les deux versions, la seconde aligne le récit de la mort du roi sur celui de la Passion du Christ, au point que sur le modèle de la préfiguration à l’œuvre dans l’exégèse typologique, on a pu parler ici de « postfiguration ». Loin de n’être qu’un procédé littéraire, cet agencement poétique particulier des faits permet à l’auteur, dont la philosophie politique fut marquée par la foi luthérienne comme par le traumatisme de la Guerre de Trente Ans, de révéler le sens transcendant que prend a posteriori le régicide : le rétablissement de la monarchie justifie le sacrifice du roi-martyr et confirme la légitimité intangible du droit divin des rois. Procédant à une exégèse figurée de l’Histoire, la tragédie révèle ainsi le dessein de la Providence.Carolus Stuardus is the only tragedy published by the Silesian Andreas Gryphius (1616-1664) to be about a contemporary event. Gryphius published two successive versions of the play : the first was written just after the execution of the king, and the other, considerably edited, after the Restoration. The play follows the pattern of the martyr drama, only carrying its conventions one step further : Carolus Stuardus integrates historical events which happened between the king’s execution and the Restoration, while aligning the narration of of the king’s death onto the Passion of Christ — which has led some critics to talk about « post-figuration », to follow the model of the « pre-figuration » that is central to typological exegesis. This poetic strategy is far from being simply a literary device ; it allows the author, whose politics were shaped by his Lutherian beliefs as much as by the traumatic impact of the Thirty Years’ War, to reveal retrospectively the transcendent meaning of the regicide : the restoration of the monarchy is what justifies a posteriori the sacrifice of the martyr-king and confirms the intangible legitimacy of the divine right of kings. By allowing for a figurative exegesis of History, the tragedy thus acts as a revealer of the workings of Providence