Donner un sens aux litiges du travail

L’objectif de cet article est de discuter les présupposés sur lesquels se fondent les études nationales et internationales qui dénoncent la dimension litigieuse des relations du travail, et de proposer de nouvelles hypothèses pour apprécier les évolutions contentieuses dans le temps et dans l’espace. On montrera d’abord que la critique du recours au tribunal recouvre une critique plus profonde des droits qui ont été alloués aux salariés depuis plus d’un siècle en vue de compenser l’inégalité de la relation salariale. On relèvera ensuite que, sans affronter la question du droit d’accès au tribunal, les auteurs recourent à des argumentaires classiques en économie, en contestant l’efficience du tribunal dans le traitement des litiges et en dénonçant les tendances individuelles et collectives à la litigiosité. Enfin, en nous fondant sur l’hypothèse institutionnelle d’un tribunal opérateur de reconnaissance et d’attribution de droits, nous proposerons une autre démarche d’observation des séries statistiques de la justice du travail, consistant à privilégier les variables juridiques qui contribuent à donner une valeur à l’action. Dans ce cadre, la baisse observée du nombre et du taux des litiges individuels du travail en France depuis une dizaine d’années peut être liée à la baisse de valeur des droits, due aux changements qui affectent le droit des contrats dans le sens d’une plus grande flexibilité.The article discusses the implicit assumption on which national and international studies which declaim against employment litigation; it also sets up some new key assumptions to assess evolution of litigation in both time and space. The article first shows that the critics of recourse to courts overlap a more fundamental critic of the rights granted to employees since more than one century. It then shows that the use standard microeconomic analysis leads to argue against actions before courts owing to an inefficiency argument. Instead, the article finally supports the idea that courts should be considered from an institutional viewpoint as an operator of both recognition and allocation of legal rights. Drawing on that conception, the article reconsiders the evolution of statistical data on labour litigation. It argues that the decreasing trend in litigation before labour courts in France may be the outcome of a process of lowering in the value of legal rights which is itself the consequence of employment policies aiming at strengthening flexibility in the labour market