L’ibadisme maghrébin en contexte fatimide (début xe-milieu xie siècle)

L’avènement des Fatimides nourrit tout d’abord dans les sources ibadites une mémoire de la chute, dont nous examinons les différentes déclinaisons. Cette vision est complétée par le thème apologétique de la résistance face aux « tyrans ». Mais comment égaler la geste héroïque incarnée par le leader schismatique Abū Yazīd, figure de proue de la rébellion ? L’orthodoxie ibadite prit soin de le présenter comme un « kharijite », dont l’action avait répandu la « fitna » sur le Maghreb. Elle mit en avant une autre révolte, juste, légitime et pieuse, car née du consensus de la communauté et dirigée par ses oulémas, celle de Bāghāya en 969. Cet épisode oublié est donc avant tout le résultat d’une stratégie de production d’une contre-mémoire. Pourtant, il lève aussi le voile sur une autre réalité, celle de la cohabitation avec le pouvoir ismaïlien, à l’égard duquel les élites religieuses wahbites semblent avoir joué le rôle d’intermédiaires.In Ibadi sources, the advent of the Fatimids has fuelled a memory of the Fall, the aspects of which we will examine. This vision is completed by the apologetical narrative of resistance against the “tyrants”. But how could the Ibadi orthodoxy compete with the heroic saga of Abū Yazīd, the schismatic figurehead of rebellion? First, by presenting him as a “Kharijite” leader who had spread the “fitna” over the whole country, and secondly by putting forward another revolt. The forgotten episode of Bāghāya (969) was seen as a legitimate and righteous uprisal, decided by the community and lead by its ulama. But this attempt to produce a counter-memory also sheds light on another reality: the coexistence between the Ismaili authority and the Ibadi-Wahbi community, represented by its religious elite