Histoires de vie, subjectivités et pensée(s) féministe(s) en « Orient » du dernier quart du XIXe siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres

Dans cet article j’essaie de relier la pensée féministe dans l’Empire Ottoman, les Balkans et ultérieurement en Turquie à la formation des subjectivités bourgeoises, depuis le dernier quart du xixe siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres. J’examine dans quelle mesure le féminisme, en tant que critique envers l’ordre social existant, fut fondé sur la subjectivité bourgeoise émanant des Lumières et du Romantisme, outils communs de pensée de diverses populations lettrées en « Orient ». Je mets en parallèle, à cet égard, les histoires de vie de certaines intellectuelles, défenseuses des droits des femmes : Sotiria Cléoménous-Aliberti (1847-1929) et Kalliopi Kechagia (1839-1905), intellectuelles grecques actives dans l’Empire Ottoman et la Grèce, et Fatma Aliye (1862-1936), Halide Edib Adıvar (1884-1964) et Nezihe Muhittin (1889-1958), intellectuelles turques-musulmanes éminentes de l’époque. Je suis, à ce propos, les textes produits par ces femmes : leur correspondance ainsi que leur production intellectuelle – autobiographies, essais, articles, romans ou nouvelles. Leur écriture est considérée comme « narration de soi », par où elles cherchaient à gagner l’hégémonie sociale (en termes gramsciens) sur l’ensemble de la féminité nationale, voire sur l’ensemble du corps nationalIn this article I try to link feminist thought in the late Ottoman Empire, in the Balkans and in Early Turkish Republic – i.e. from the last quarter of the 19th century to the Interwar period – to the emergence of bourgeois subjectivities in the region. I examine to what extent feminism, as criticism towards the existing social order, was based on a bourgeois subjectivity stemming from the Enlightenment and Romanticism, common tools of thought for literate populations of various ethno-religious origins in the “Orient”. I parallelize in this regard the life stories of some female intellectuals who were defenders of women’s rights; I compare Sotiria Cléoménous-Alibertis (1847-1929) and Kalliopi Kechagia (1839-1905), Greek intellectuals being active in the Empire Ottoman and Greece, with Fatma Aliye (1862-1936), Halide Edib Adıvar (1884-1964) and Nezihe Muhittin (1889-1958), prominent Turkish Muslim intellectuals of the time. I draw on those women’s correspondence as well as the autobiographies, literary texts and essays written by them. This production will be regarded as a series of “self-narratives”, whereby these women endeavored to gain social hegemony (in Gramscian terms) over the whole national womanhood, actually over the whole national bod