Un Jugement Dernier byzantin du XIIe siècle en Sicile normande: la ‘Grotta del Crocifisso’ à Lentini

A L’intérieur de la « Grotta del Crocefisso » de Lentini, ville de la Sicile orientale à mi-chemin entre Catane et Syracuse, une lecture minutieuse des différentes couches d’enduit peint recouvrant les parois a permit récemment d’identifier les restes d’un Jugement Dernier. Cette image appartient à la première intervention picturale exécutée dans le sanctuaire rupestre, qu’on peut attribuer à un courant artistique gravitant dans l’orbite byzantine du XIIe siècle étant donné les liens stylistiques, très marqués, avec les mosaïques de la Chapelle Palatine de Palerme et des cathédrales de Cefalù et Monreale. A cause vraisemblablement des limites d’espace disponible ou tout simplement pour manque d’ambition dans le projet pictural, le Jugement Dernier de Lentini a été exécuté en version réduite. A la différence de la mise en page richement développée des cas monumentaux des églises romanes de Sant’Angelo in Formis et de Torcello, dans la « grotte » sicilienne on a peint seulement les éléments iconographiques essentiels : malgré le mauvais état de conservation de la surface picturale, il a été possible distinguer le noyau figuratif de la Vierge et de Jean Baptiste en prière face au Christ assis sur le trône, selon la formule de la Déisis, ainsi que l’archange Michel qui pèse les âmes et, plus en bas, sur la droite, des traces des damnés sur la droite auxquels devaient peut-être correspondre à l’origine, sur la gauche, les justes, à la place d’une lacune qu’on aperçoit aujourd’hui. Même si fragmentaire et reproduite de façon synthétique, la découverte du Jugement Dernier à Lentini représente une acquisition particulièrement intéressante vu l’absence de ce sujet dans la peinture rupestre de l’Italie méridionale et compte tenu, par contre, des plusieurs témoignages conservés en Cappadoce qui se révèlent intéressant pour une comparaison. La version sicilienne mérite aussi une réflexion à propos des apports plus ou moins directs des modèles formels byzantins, sans négliger une possible contamination avec la culture figurative occidentale. Quant aux raisons de la présence du sujet à l’intérieur du lieux de culte sicilien, le choix de représenter un Jugement Dernier à la place d’un des sujets parmi les plus habituels dans ce genre de sanctuaires, comme un saint en pose frontale ou une image iconique de la Vierge et du Christ, pourrait dériver d’une probable fonction funéraire du lieu : à coté de l’espace contentant la scène du Jugement se trouve une pièce, toujours creusée dans la roche, qui abrite un ossuaire, peut-être d’origine médiévale, bien que attesté seulement à partir du XVIIIe siècle par les sources. La représentation du Jugement Dernier de Lentini pourrait donc avoir été conçue en tant que image offerte en ex-voto en correspondance d’une ou plusieurs sépultures. C’est dans ce sens là qu’il faudrait probablement interpréter la présence de l’image de l’archange Michel qui pèse les âmes dans la « Grotta dei Santi » à Calvi (milieu XIe siècle) et dans l’église rupestre de Rongolise en Campanie (début XIIe siècle). Quoi que se soit, la « Grotta del Crocefisso » de Lentini ne conserve qu’une succession des panneaux votifs, exécutés singulièrement ou en série, selon la demande d’un seul ou plusieurs fidèles, dès le XIIe siècle jusqu’à l’époque moderne. Seulement le Christ Pantocrator de l’abside qui surmonte l’autel, appartenant à la même couche du Jugement Dernier, semble avoir été destiné du début à la collectivité, en tant qu’image fonctionnelle au déroulement de la liturgie. L’hypothèse d’un lien entre le Jugement de Lentini et une possible fonction funéraire du lieu qui l’entoure est renforcée par la présence d’une version du même sujet iconographique, dans un contexte pictural appartenant à la sphère occidentale et datant de la fin du XIe siècle – début XIIe siècle, à l’intérieur des catacombes de Sainte-Christine à Bolsena, au nord de Viterbe. Dans ce cas-là l’association de la scène du Jugement avec l’enterrement des fidèles est évident : la représentation, qui avait à l’origine une ampleur monumentale, surmonte l’entrée du cimetière hypogée, d’origine paléochrétienne mais encore utilisé pendant les siècles centraux du Moyen Ag