Nation de Terry Pratchett, le testament littéraire en forme de robinsonnade du roi de la fantasy anglaise

International audienceEn mars 2015 s’éteignait Terry Pratchett, prolifique auteur britannique de fantasy relativement délaissé par la critique mais adulé par son lectorat (c’était en 2006 le second auteur le plus lu en Grande-Bretagne après J.K. Rowling, créatrice de Harry Potter ). Anobli par la Reine en 2008, Pratchett a lui-même contribué à donner ses lettres de noblesse au genre populaire souvent décrié, volontiers considéré comme relevant de la paralittérature qu’était encore la fantasy à la fin du XXe siècle, avant que quelques grands phénomènes éditoriaux ne contribuent à le légitimer.Bien que la marque de fabrique de l’auteur soit le renouvellement de la fantasy par l’humour et la parodie, qui mettent à nu les mécanismes de la fiction en sapant les topoï d’un univers très codifié, notamment au sein de l’improbable monde secondaire de Discworld (Disque-monde) développé dans les très nombreux romans — principalement pour adultes, parfois pour la jeunesse — des Annales du même nom, Terry Pratchett offrait en 2008, avec Nation , une robinsonnade hors normes à plus d’un titre. D’une part, il s’agissait de la première œuvre hors Disque-Monde de l’auteur depuis la publication du roman pour la jeunesse Johnny and the Bomb (1996). D’autre part, loin de choisir un destinataire bien défini, Pratchett livre avec ce roman un exemple de crossover literature qui, par l’universalité et la dimension philosophique de la réflexion, emmène le récit bien au-delà de la fable initiatique qui en fait la trame . Outre la frontière des catégories d’âge du lectorat, ce sont les frontières génériques qui sont brouillées dans ce récit, à travers la description d’une île des mers du sud historiquement située dans un XIXe siècle alternatif : l’œuvre relève à la fois d’un réalisme presque documentaire, mais aussi du roman historique, de l’uchronie, du récit d’aventures et de la robinsonnade.Et pour renouveler encore mieux l’enseignement de Robinson Crusoe, c’est une fille, la jeune Daphné, très occidentale et rationnelle, qui tient le rôle de Robinson, tandis que Vendredi est incarné par l’adolescent Mau, le « bon sauvage » qui vient d’accomplir son rite de passage sur l’île voisine et qui doit se résoudre à assumer le rôle de leader qui lui incombe s’il veut sauver les réfugiés affluant sur sa terre ancestrale ravagée par une vague énorme et meurtrière. La remise en question des traditions, des croyances et des idées préconçues est ce sur quoi repose la survie et l’avenir d’une société « recomposée », hétéroclite, faite de différences et de mixité, dans un récit d’une stupéfiante actualité d’un point de vue écologique, humanitaire et sociopolitique, où c’est parce qu’ils sont mis sur un pied d’égalité que la « Robinsonne » et son Vendredi peuvent faire l’apprentissage salvateur de l’altérité et de l’empathie