Libertinage et prise du pouvoir chez Claude Crébillon

On qualifie souvent de libertines les œuvres de Claude Crébillon (1707-1777). En effet, si le libertinage y est omniprésent, il n’y est jamais défendu par le romancier. Son analyse des mœurs de l’aristocratie française (surtout pendant la Régence et le règne de Louis XV), dévoile plutôt les masques rhétoriques de la sensualité, de la vanité et de l’ambition politique démesurée. À la manière sophiste, la persuasion libertine s’accomplit par le jeu rhétorique de la parole séductrice et pour cela il faut décevoir, intimider, conquérir et humilier l’amour-propre de la victime. C’est la victoire ambitionnée par les libertins cyniques, lucides et calculateurs, brillants stratèges et tacticiens du jeu de la séduction, qui, à cette maîtrise performative, allient un système analytique et théorisant qui concerne soit les rapports amoureux entre les sexes, soit les rapports didactiques établis entre le maître et ses disciples, soit encore les rapports politiques qui peuvent s’établir entre le libertin et la société. En ce sens, le libertinage est transgressif et Crébillon, qui n’est pourtant jamais réconfortant, s’en sert pour dévoiler, avec une subtile finesse, les ridicules et les vices de l’aristocratie, son unique objet d’enquête. Cependant, le moraliste lucide pénètre aussi les rapports sociaux, en faisant du roman un véhicule idéologique de la mise en question de plusieurs systèmes politiques.