Les adolescents face aux violences numériques 

La circulation des images violentes est favorisée par les stratégies des plateformes numériques visant l’ « addiction » à leurs dispositifs et la circulation des affects : elle stimule les interactions, permettant la collecte de données personnelles par leurs algorithmes. Faire face aux violences numériques requiert pour les adolescents un double travail auquel se consacre cet article : conjointement au « travail du clic » que représentent les activités de partage, de recommandations, de commentaires qu’elles suscitent, s’ajoute un travail en profondeur sur les émotions ressenties face aux images violentes, sexuelles et haineuses, et leur expression sur les plateformes. Le travail émotionnel des adolescents consiste à gérer les écarts entre les différentes règles de sentiment auxquels ils se réfèrent, celles de la plateforme, celles des pairs, celles des parents. Ils ne sont pas dotés également des capacités pour accomplir ce travail et construire des postures autonomes, résistant aux logiques de violence qui affectent leurs circulations numériques. Certains développent des attitudes d’adhésion aux logiques de violence et perdent la capacité à écouter leurs propres sentiments, à protéger leur subjectivité. L’instrumentalisation commerciale des émotions comprend un risque de réification auquel les adolescents sont particulièrement exposés et qui renforce le cycle des violences numériques. L’article s’appuie notamment sur une enquête qualitative menée auprès de 200 adolescents de milieux sociaux et scolaires différenciés entre 2015 et 2017 par entretiens semi-directifs.The circulation of violent images is enhanced by the strategies of digital platforms aimed at “addiction” to their devices and the circulation of affects : it stimulates interactions, allowing the collection of personal data by their algorithms. Dealing with digital violence requires for teenagers a double work to which this article is focused : together with the quasi « digital – labor » involved in the sharing activities, recommendations, comments they arouse, is added a deep work of managing emotions experienced with violent, sexual and hateful images, and expressing them on platforms. The emotional work of teenagers consists of managing the gaps between the different rules of feeling they refer to, from the platform, the peers and the parents. They are not equally equipped to do this work and build autonomous postures, resistant to the logic of violence that affect their digital circulation. Some of them develop attitudes of adherence to the logic of violence and lose the ability to listen to their own feelings, to protect their subjectivity. The commercial exploitation of emotions includes a risk of reification to which adolescents are particularly exposed and which reinforces the cycle of digital violence. The article is based predominantly on a qualitative survey conducted among 200 adolescents from social and school backgrounds differentiated between 2015 and 2017 by semi-structured interviews