Sédentarité et migration des oiseaux dans une garrigue méditerranéenne

Cette étude a pour but d’élucider la causalité et le fonctionnement écologique des mouvements d’oiseaux migrateurs dans un échantillon du midi méditerranéen français. L’idée générale qui a présidé à ce travail est que dans tous les écosystèmes soumis à une périodicité climatique, il existe à certaines saisons des res sources alimentaires dépassant les besoins des oiseaux sédentaires et que les migrateurs peuvent exploiter. D’où ce balancement périodique d’une gigantesque population flottante qui oscille au rythme des saisons entre les « territoires d’hivernage » et les « zones de reproduction » (fig. 1). Les espèces qui furent dénombrées ont été classées en 4 catégories phénologiques en fonction de la nature de leurs mouvements migratoires : migrateurs au long cours (I), estivants nicheurs (II), sédentaires (III) et hiver nants (IV). Par ailleurs, on a établi une classification trophique dans le but de préciser la nature des adaptations alimentaires de l’avifaune dans le contexte de l’évolution saisonnière de certains facteurs écologiques du milieu. Le cycle annuel a été divisé en 6 saisons ( Prévernale , vernale, estivale, automnale, préhivernale et hivernale), chacune étant caractérisée par la présence dominante de la catégorie phénologique correspondante. Toutes les données quantitatives ont été recueillies sur une parcelle expérimentale de 28 ha située dans une garrigue méditerranéenne, à l’aide de deux méthodes de dénombrement : la méthode absolue des plans quadrillés et la méthode relative des itinéraires-échantillons. La densité moyenne des oiseaux nicheurs est de 22 couples/ 10 ha que se partagent 4 espèces. Cette faible densité provient du manque de diversité de l’avifaune dans ce milieu spécialisé qui offre peu de niches de reproduction. La courbe d’abondance de l’avifaune sur le cycle annuel révèle qu’à un déficit estival prononcé de l’avifaune fait suite un maximum inter nuptial très accusé. Tant en quantité qu’en diversité l’avifaune hivernale est bien plus riche que l’avifaune estivale. 11 semble donc à première vue que le milieu soit plus productif en hiver qu’en été, ce qui n’est en fait qu’une apparence (fig. 2). La classification des espèces suivant un critère de constance a permis de constater que parmi le cortège d’espèces présentes, un petit nombre seulement sont régulièrement représentées. Ce sont elles qui sont les plus caractéristiques de l’avifaune à chaque saison (Tab. III). Les espèces constantes appartiennent toujours à la catégorie phénologique qui caractérise la saison. Plus la diversité de l’avifaune est grande, moins il y a d’espèces constantes, ce qui confirme bien le rôle prépondérant de ces dernières. Quand les résultats sont exprimés sous forme de biomasse, les courbes fournissent une image plus fidèle des fluctuations d’abondance de l’avifaune car l’impact d’un oiseau est fonction de son poids (fig. 6). L’analyse des variations saisonnières de biomasse révèle que non seulement il y a plus d’oiseaux en hiver qu’en été mais que ces oiseaux « pèsent » davantage sur le milieu car ils sont en moyenne plus gros. De même, le coefficient de variation pondérale montre que l’avifaune hivernale est bien plus diversifiée que lorsqu’on ne retient que la seule diversité spécifique. Sur le plan trophique, deux catégories de consommateurs sont représentées : les insectivores recherchant leur nourriture surtout dans les buissons et les polyphages mangeant sur le sol. Les estivant nicheurs sont exclusivement insectivores, les sédentaires sont surtout insectivores bien que leur régime soit sans doute plus varié en hiver et les hivernants sont presque tous polyphages (fig. 7). L’explication du mécanisme écologique de la coexistence ou du remplacement de ces avifaunes a nécessité au préalable des études sur le climat, les périodes d’activité végétale et les fluctuations d’abondance des invertébrés sur le cycle annuel (fig. 9). a) L’avifaune estivale est plus pauvre que l’avifaune hivernale non pas parce qu’il y a moins de nourriture en été qu’en hiver, mais parce que la densité est limitée en été par d’autres facteurs directement liés aux fonctions de la reproduction. b) L’implantation des hivernants est possible grâce à un faisceau d’éléments bioclimatiques favorables. La niche alimentaire qu’ils exploitent n’est occupée que par eux, les sédentaires étant adaptés à une autre niche. c) Les estivants nicheurs arrivent en mars et repartent en septembre parce qu’ils occupent une niche alimentaire saisonnière. Les insectes qu’ils consomment présentent un maximum d’abondance printanier et estival consécutif à l’activité végétale printanière. d) Les sédentaires ne quittent jamais ce milieu parce qu’ils sont adaptés à une niche de nourriture dont les fluctuations de productivité sur le cycle annuel sont nettement moins prononcées que celles des autres niches. Leur densité n’est jamais limitée par le facteur alimentaire mais par les contraintes éco-éthologiques liées à la reproduction. Les modalités d’implantation des migrateurs dans leurs quartiers d’hiver mettent en jeu tous les éléments constitutifs de la niche des espèces. Les oiseaux migrent pour trouver ailleurs une nourriture que leur patrie leur refuse en hiver. Mais le facteur alimentaire est rarement celui dont les limites de tolérance sont atteintes les premières. Il est peu probable que la superposition des oiseaux migrateurs aux avifaunes sédentaires se soit faite au prix d’une grande compétition, l’impact trophique des oiseaux dans les communautés, surtout celui des oiseaux insectivores, étant toujours faible par rapport à celui de nombreux autres groupes zoologiques.This study tries to explain the causality of movements of migratory birds in relation to ecological factors in an area of french mediterranean macchia (garrigue). The basic premise underlying the work is that in ecosystems showing seasonal periodicity, there are food surpluses at certain times of the year which are not used by sedentary birds, which can be exploited by migratory species. This results in a seasonal migration between ’’winter quarters” and ’’breeding areas” (fig. 1). The species studied were classified into 4 phenological categories according to migratory movements : long-distance migrants (I), summer breeders (II), sedentary species (III) and wintering species (IV). In addition a trophic classification was made in order to understand changes in feeding habits with season. The annual cycle was divided into 6 seasons (early spring, spring, summer, autumn, late autumn and winter), each season being characterized by the dominance of different groupings of the avifauna. The quantitative data were collected from an experimental plot of 28 Ha (ca 69 acres). Two census methods were used : an absolute method of census plots and a relative one of line-transects. The low average density of four breeding species of 22 pairs/10 Ha seems attributable to low habitat diversity and consequent small number of breeding ” niches ”. Bird species were classified according to ” constance ” (that is the percentage of the total observations in which each species was recorded) and the implication of species frequency and diver sity discussed. During the annual cycle, a summer low in abundance is followed by an internuptial ” high ”. Bird populations in winter are richer than summer populations in numbers, species diversity and total biomass (fig. 6). Two kind of consummers were recognised : insectivorous species which find their food mainly in bushes and polyphagous species feeding on the ground. Summer breeders are exclusively insectivorous, sedentary species mainly insectivorous (although their winter diet appears to be more varied), whilst the winter birds are almost all polyphagous (fig. 7). The role of ecological factors (seasonal climatic changes, periodicity of primary production and invertebrate abundance) on the coexistence or seasonal replacement of bird populations are examined (fig. 9). Important points to be noted are : a) the summer bird fauna is poorer than winter one. This is not due to différences in food supply but is referable to breedind factors acting in the summer months. b) the occurence of wintering birds is attribuable to a set of favourable bioclimatic conditions. The food niche of wintering birds is never occupied by other birds, the feeding habits of sedentary species being completely different. c) the summer breeders, which arrive in March and leave in September, feed on insects populations which have spring and summer abundance peaks. d) the food source of sedentary birds does not undergo large seasonal fluctuation. The density of these birds is never limited by food supply but by ec.o-ethological factors linked to breeding