La gestuelle, support et substrat de significations

International audienceLa gestualité est considérée comme un lieu d'inscription du sens dans une modalité gestuo-visuelle (McNeill 1992, 2005 ; Kendon 1988, 2004 ; Calbris 1990, 2003 ; Cosnier 1987, Singleton&Al 1995). Mais de quelle modalité parle-t-on vraiment ? De la vision, comme modalité intégrative d'une iconicité ou d'une analogie largement structurante des formes gestuelles (Cuxac 2000, Liddell 1995), ou encore comme modalité de réception orientant, voire cadrant les formes gestuelles effectives et leur espace d'inscription (McNeill 1992, Emmorey&Al 1995), mais quid de l'autre instance, la gestuelle, modalité trop peu souvent interrogée ? Nous l'envisagerons en tant que composante corporelle structurante, en particulier dans ses dimensions physiologique et perceptive qui lui sont attachées : la physiologie articulaire (Kapandji 1997, Boutet 2001, 2007) et la proprioception (Berthoz&Al 1997, 2006). Cette présentation propose de rendre compte de tests effectués sur un modèle physiologique d'émergence du sens (Boutet 2008, 2010) dans la gestualité en montrant que le sens peut se générer dans la matérialité même du membre supérieur. Un modèle physiologique articulaire de structuration en Unités Gestuelles (UG) pourvues de signification propre permet d'entr'apercevoir des primitives de sens sur les degrés de liberté décrivant les mouvements possibles impliqués dans certains gestes. Ainsi, le nombre de degrés de liberté appartenant au segment qui génère le geste (doigts, main, avant-bras, bras) semble en cause dans le nombre d'actant du prédicat gestuel. Par ailleurs, l'abduction/adduction manuelle (degrés de liberté que nous présenterons succinctement) régit apparemment une alternance animé/non animé dans les protagonistes du procès. Une auto-organisation globale du mouvement des gestes fait émerger des UG sur des zones de génération segmentales (les articulations), comme autant de lieux de résonances de la répartition du mouvement et de ses significations. Des schémas d'action physiologiques ont été établis ; ils permettent de rendre compte de la structure des Unités Gestuelles. Ces UG et leur sens associé peuvent diffuser le long du membre supérieur à travers des réalisations visuellement différentes mais qui, gardant la même facture physiologique (même schéma d'action), relèvent d'une parenté d'ordre proprioceptif. Une vingtaine d'UG sous différentes réalisations chacune ont été testées selon une méthode des juges par un nombre significatif de participants. Selon les tests, entre une cinquantaine et une douzaine de réalisations gestuelles ont été présentées sous forme vidéo. Un exemplier papier présentant des étiquettes verbales possibles pour le sens des gestes, distribué à chaque sujet, donnait lieu à un choix unique par réalisation gestuelle. Les résultats sont en accord avec ce que prévoit le modèle notamment sur le fait que les Unités Gestuelles sont bien basées sur une structure physiologique et sur l'instance gestuelle du canal gestuo-visuel. Nous voulons ici faire plusieurs focus : 1/sur la portée du modèle et en particulier sur la génération des Unités Gestuelles pour chaque centre d'organisation segmental (le corps comme substrat) et 2/sur la subsidiarité des formes déployées (le corps comme support) qui diffusent les réalisations des UG et leur sens associé sur un ou plusieurs segments. Des résultats spécifiques montrent que pour les différentes réalisations de chaque UG un gradient de reconnaissance de la signification court - différemment d'ailleurs - le long des segments (main, avant-bras, bras) et diminue à mesure de l'éloignement du centre d'organisation. Une UG - par exemple " rejeter " - organisée sur la main sera reconnue pour une réalisation digitale ou mano-brachiale mais, dans une moindre mesure, lorsqu'elle est réalisé sur l'avant-bras. Ces résultats révèlent que le corps n'est pas un lieu monolithique d'inscription d'une transcendance sémantique, fût-elle iconique, mais au contraire qu'il consiste en un ensemble de substrats reliés (les segments) dont les relations, d'une part, structurent le sens de certains gestes et, d'autre part, diffusent les réalisations d'Unités Gestuelles selon le rapport d'inertie que le segment organisateur entretient avec ses voisins du membre supérieur. Cette subsidiarité segmentale fait émerger le corps comme support, comme lieu de réalisations différentes de mêmes UG et différencie le corps en tant que substrat structurant de sens