Hommages en fragments : le chemin entre György Kurtág et Luigi Nono

National audienceBien que distants et indépendants sous de multiples aspects, les chemins créatifs de György Kurtág et Luigi Nono se sont croisés, depuis la fin des années 1970 jusqu’à la mort de Nono en 1990, au carrefour poétique et musical de l’écriture fragmentaire. En témoignent les hommages réciproques qu’ils s’adressent : l’Omaggio a Luigi Nono op. 16 (1979-1981), pour chœur mixte a cappella sur des poèmes d’Anna Akhmatova et Rimma Dalos, et l’Omaggio a György Kurtág (1983-1986), pour voix de contralto, flûte, clarinette, tuba, et transformation électronique en temps réel. Élément minimal autonome et auto-suffisant selon Kurtág, qui l’exploite au maximum, expression du refus du caractère purement discursif de l’œuvre musicale d’après Nono, qui s’en sert pour rompre le cours linéaire des événements, le fragment est le pivot esthétique des choix analogues des deux musiciens. Attirés tous les deux par les fragments poétiques, ou bien enclins à extraire, de pièces en vers en elles-mêmes complètes, des morceaux lyriques qui accompagnent leurs compositions, Kurtág et Nono jouent sur les ambiguïtés du langage verbal et proclament l’affranchissement de la création musicale vis-à-vis de la totalité. Parmi les sources d’inspiration des deux compositeurs, il faut citer Akhmatova et Dalos, « muses » de l’Omaggio de Kurtág à Nono ; Hölderlin, point de repère du quatuor à cordes Fragmente-Stille, an Diotima de Nono et des Hölderlin-Gesänge op. 35 de Kurtág ; mais aussi Kafka et Tarkovski dont le film Nostalghia recèle la célèbre scène de la bougie, paradigme cinématographique de l’existence humaine et artistique de Kurtág et de Nono