Réécriture et métamorphose de la forme musicale dans les programmes composés de György Kurtág

International audienceL'acte de réécriture est au coeur de la composition de György Kurtág, notamment au sein des "programmes (ou concerts) composés", forme particulière qu’a développée le compositeur depuis les années 1980. Dans ce cadre viennent prendre place la transcription et l’auto-transcription, largement pratiquées par Kurtág, et l’exercice de l’hommage, du tombeau, de l’in memoriam, qui crée une constellation intertextuelle tout à fait saisissante. Si elle peut consister à regrouper des fragments épars, isolés, solitaires, la composition du programme peut également s’appliquer à des œuvres plus larges ou à des cycles, dont les fragments peuvent se retrouver exilés, détachés de leur œuvre originaire. Plusieurs exemples sont abordés : le "Portraitkonzert" de Budapest et Salzbourg puis le "Rückblick" (1993) ; le programme composé des Jeux pour piano, mêlées aux transcriptions de Bach, immortalisé par un disque ECM en 1997 ; les Quelques phrases tirées des cahiers de brouillon de Georg Christoph Lichtenberg op. 37 ; enfin le programme composé par András Keller (premier violon du Quatuor Keller), qui entretisse des fragments de Kurtág pour quatuor à cordes et certains contrapuncti de L’Art de la fugue de Bach (2000). La forme générale des programmes composée se trouve constamment récrite. Pour le musicologue, comme pour l’auditeur, elle s’avance masquée, tant l’art de la métamorphose, mais aussi le travail de dissimulation, de déguisement, de cachotterie, font partie de l’univers de Kurtág. La mise en perspective de l’écriture fragmentaire surgit du paradoxe contenu dans la notion de "brisure" (Laporte cité par Derrida) qui est à la fois cassure et articulation, représentation ambiguë de la rupture continuée, dans un contexte spatial et temporel