Discours et politiques forestières coloniales en Afrique et à Madagascar

During the colonial period, and in particular beginning with the conquest of Algeria, the perception of tropical forests was impregnated with preconceptions derived from the observer's own culture as well as economic doctrines of the epoch which served as the basis for constructing a colonial ideology. The dominant vision of the world in France shaped and in a sense pre-determined the outlook on tropical environments. Initially, the conquerors faced a Mediterranean environment that was familiar because it was linked to their own cultural origins. Thus when the officers ordered all of the useful trees to be cut down they were fully aware of the consequences on the Kabyle and Arab populations. Yet, deep awareness quickly arose over the danger of the lack of trees. The Reforestation League, founded in Algeria, was a forerunner of modem day ecological movements. Later when confronted with tropical forests — a truly foreign environment that was unlike anything they had ever seen — colonizers fluctuated between a hostile vision of a «green hell», total chaos, and permanent danger and the opposite image of lush abundance, boundless wealth, and the opulence of a golden age in what was long thought to be a virgin forest. Natives inhabiting such an inhuman environment could only be a part of its savagery. With surprising consistency, foresters have only had eyes for the wood in tropical forests, especially valuable timbra1 that could be traded. Yet the exploitation of tropical forests required order and regulations separating the timberland from its inveterate enemies, the farmer and especially the herder. «Reserves» were set up throughout the tropical colonies to disassociate the forests from the natives and their age-old customary rights.La perception des forêts tropicales fut, durant la période coloniale, et singulièrement à partir de la conquête de l'Algérie, imprégnée tout à la fois de l'imaginaire lié à la culture d'origine, et des doctrines économiques de l'époque qui fournirent le soubassement de la construction de l'idéologie coloniale. La vision du monde dominante en France modela et prédétermina en quelque sorte la perception de la nature tropicale. Dans un premier temps cependant, les conquérants eurent affaire à une nature méditerranéenne non étrangère, parce que liée aux origines de leur propre culture. Aussi est-ce en toute connaissance de cause que les officiers donnaient l'ordre de couper tous les arbres utiles afin d'en priver la population kabyle ou arabe. Mais bien vite, la prise de conscience aiguë du danger d'un manque d'arbres se manifesta. La ligue pour le reboisement, née en Algérie, préfigure le discours écologiste. Face à la forêt tropicale, étrange parce que réellement étrangère, la perception des colonisateurs oscille entre l'impression d'«enfer vert», de désordre sauvage, d’hostilité permanente, et l'interprétation inverse : éblouissante profusion, richesse sans limite, opulence de l'âge d'or d'une forêt qui sera longtemps perçue comme vierge. Les indigènes qui vivent dans ce milieu inhumain ne peuvent que participer à sa sauvagerie. Quant aux forestiers, avec une étonnante constance, dans la forêt tropicale ils ne voient que du bois, et surtout des essences précieuses à exploiter. Pour exploiter, il importe de mettre de l'ordre, c'est-à-dire réglementer et séparer le capital forestier de ses ennemis invétérés : l'agriculteur et plus encore le pasteur. Ainsi, de nombreuses «réserves» seront mises en place dans toutes les colonies tropicales afin de dissocier la forêt des indigènes et de leurs droits d'usage immémoriaux. De nos jours encore, la plupart des forestiers tropicaux français ne voient que du bois dans les forêts tropicales, et leur sylviculture continue à ignorer largement les essences locales et leurs multiples usages. Les populations autochtones restent méconnues, car le pouvoir exclusif sur un territoire reste leur principale préoccupation.Bergeret Anne. Discours et politiques forestières coloniales en Afrique et à Madagascar. In: Colonisations et environnement. Paris : Société française d'histoire d'outre-mer, 1993. pp. 23-47. (Bibliothèque d'histoire d'outre-mer. Études, 13