Le legs de Jean-Marie Zemb

International audienceNon et Non ou Non ? Entretiens entre un philosophe, un grammairien et un logicien (Éditions Lambert-Lucas, 2007) est le bouquet final d’une vie de recherche menée méthodiquement, obstinément, axée dès son début sur la Négation et y revenant une dernière fois – « repetitio mater studiorum », comme aimait à le dire et à le pratiquer Jean-Marie Zemb. Ce livre, écrit dans un genre jugé audacieux de nos jours (il s’agit de conversations philosophiques rappelant à la fois les dialogues de Platon et les « entretiens » des Encyclopédistes), offre l’espace indispensable à une pensée qui y déploie son questionnement, ses objectifs, sa méthode et ses résultats. En faisant débattre ensemble un philosophe, un grammairien et un logicien (désignés sous des anagrammes, « Bientassé », « Lorvair » et « Dubrain »), Jean-Marie Zemb se donne comme mission de restaurer « l’Ordre des pensées » (p. 75), c’est-à-dire assurer des fondements sûrs aux opérations de la Pensée quand elle perçoit les faits, la Réalité.         Le but de ces dix entretiens entre un philosophe, un grammairien et un logicien est de redonner à la Négation la stature qu’elle mérite dans l’analyse philosophique, logique et grammaticale. En lisant ces conversations érudites et animées, on comprend à quel point Jean-Marie Zemb observe toujours la rigueur des niveaux d’analyse, des concepts, des emboîtements, des articulations, des relations, des incidences et des portées. Pour l’auteur, la langue est la « pierre de touche » (p. 81) des opérations de pensée dont elle rend compte. La langue exige donc d’être étudiée exhaustivement et précisément, et le levier de cette recherche est la Proposition, « cette entité langagière triadique [thème-phème-rhème] correspondant à l’entité du Jugement » (p. 296).Quant à la négation proprement dite, c’est l’expression d’un jugement (p. 178). Et comme nous le rappelle Bientassé, dans l’une de ses répliques à Lorvair, la négation propositionnelle « n’est pas simplement un acte de langage, mais [elle est aussi] un acte de pensée » (p. 235). Pour réfléchir sereinement à cette négation, il faut dégager l’acte du jugement de ce sur quoi il porte et placer au même niveau d’articulation la négation et l’affirmation comme actes phématiques. L’affirmative (assertée) et la négative « dévoile[nt] le même rapport entre […] l’esprit et l’univers » (p. 235). Une négation peut renvoyer à du Vrai ; la négation est un acte premier tout autant que l’affirmation. « La négative asserte comme l’affirmative asserte », prévient Bientassé qui ajoute : « cela n’aurait aucun sens de parler d’“*inasserter” […]. En niant, nous ne “désassertons” pas. » (P. 136.)