De l’organe de presse professionnelle au relais de l’action publique : le rôle du Film français dans les débats publics sur le cinéma (1945-1958)

Créée au lendemain de la Libération, la revue Le Film français se présente comme le « guide éclairé » de toutes les branches de l’industrie cinématographique. Principal relais des grands débats qui traversent alors le cinéma français, des Accords Blum-Byrnes à la « bataille de la qualité », et témoin privilégié des multiples évolutions que connaît le secteur dans l’après-guerre, elle offre à ses lecteurs quantité d’informations qui lui valent d’être qualifiée de « bible du cinéma ».La revue ne se réduit pas pour autant à ce rôle, mais s’installe progressivement au cœur de l’industrie française du film, tel un « agent de liaison », prenant part à sa professionnalisation et à son institutionnalisation. En peu de temps, Le Film français devient à la fois porte-voix institutionnel auprès du CNC, chambre d’écho des nouvelles tendances économiques au sein de l’industrie et organe de défense des intérêts de ses principales parties prenantes, notamment les exploitants.Fruit d’une recherche pluridisciplinaire menée dans le cadre du programme ANR Cinépop50, cet ouvrage interroge les fonctions de cette revue corporative au sein d’une industrie en voie de modernisation, en la considérant à la fois comme une source et comme un objet d’étude à part entière : de sa création à 1958, quel a été le rôle de ce « Journal officiel du cinéma français » ?International audienceIn the panorama of the 40's and 50's French cinema newspapers, Le Film Français revue is an actor known from professionals of all branches of the French cinematographic industry but, on the other hand, a blind point from scholars, rarely considerated as a full actor of the economic and social history of cinema. This chapter focuses on the social function of Le Film français in the early French film policy debates during the 40's and 50's. If this newspaper is known to be the famous “voice of the film professionals”, it has also played an effective role of institutional relay for the French Government, during complex affairs requiring a public tribune for the justification of the political action by French authorities. Le Film français plays a foreground social role during more than a decade end enlight great debates and evolutions of post-War French cinema. This chapter underline several examples of this role played by the newspaper from 1945 to 1958 and beyond.Dans l’histoire sociale et institutionnelle du cinéma français, et contrairement à d'autres revues qui occupent le devant de la scène comme l'Ecran français ou Les Cahiers du cinéma, le Film français est un acteur connu mais aussi un point aveugle, rarement convoqué comme un acteur de plein droit de l'histoire économique et sociale du cinéma. Fondée par Jean Bernard-Derosne (1903-1962) en décembre 1944, la revue connaît une longévité dans le secteur de la presse cinématographique qui, encore aujourd’hui, n’a pas d’égal. Nous nous arrêtons, dans cet article, sur la fonction sociale du Film français. S'il est connu pour être la fameuse « voix de la profession », formule tant de fois citée par les historiens du cinéma, le Film français a, en définitive, joué un rôle tout aussi efficace de relais institutionnel en servant de porte-voix à l’Etat dans des affaires complexes qui exigent une tribune assez neutre pour la justification de l’action des pouvoirs publics, et la publicisation de leur action. Entre 1945 et 1958, les exemples de cette fonction utilitaire de médiateur jouée par la revue ne manquent pas. A la fois acteur et actant du champ du cinéma, cet organe de presse joue un rôle politique de premier plan durant plus d'une décennie. Ainsi, dès les premiers numéros parus, un échange de lettres entre les syndicats et les services du ministre de l’Information est publié in extenso dans les colonnes du n° 4 du 29 décembre 1944 (« Les syndicats professionnels et l’organisation professionnelle », p. 7) et 5 du 5 janvier 1945. En 1952-53, au moment de la « bataille de la qualité », la revue sert de tribune pour le ministre du Commerce qui y défend l’instauration du système de soutien qualitatif (le FF du 11 avril 52, pp.21-22 : « Où va le cinéma français ? » ; « L'aide à la qualité » ; « Positions officielles et points de vue professionnels sur une éventuelle aide à la qualité »). Après avoir recensé 73 articles et dossiers publiés sur les questions institutionnelles et politiques du cinéma entre 1944 et décembre 1951 ainsi que 487 articles entre janvier 1952 et fin 1958 , nous les avons soumis à une analyse communicationnelle multi-variée combinant des méthodes ou approches connexes en SIC : analyse de discours, histoire administrative et corporative, sociologie des institutions culturelles et médiatiques, et sémiotique. Basé sur le traitement de ce corpus, cet article revient sur cette fonction méconnue que tient le Film français en tant que courroie de transmission, en s'intéressant, notamment, à l'évolution de sa ligne éditoriale et à la sémantique employée par cette revue pour aborder les questions touchant au CNC et, plus largement, à la politique du cinéma français entre 1945 et 1958