Mythologie du Boiteux et du pied fabuleux. Œdipe, Jacob, Mélusine & Cie

International audienceA paraître (IMAGO, printemps 2019) Présentation Le boiteux est une des figures les plus riches de notre héritage culturel, toutes les sphères confondues : OEdipe, Héphaïstos ou Achille dans la tradition antique, Ève, Jacob ou Lucifer dans l'univers biblique, Mélusine et toute la horde de diables boiteux dans la mémoire populaire et littéraire. Mais on a rarement rapproché ces figures les unes des autres ; leur parenté fondamentale est très peu étudiée et par conséquent, le scénario immémorial dans lequel elles jouent un rôle pivot est mal identifié. Ainsi, étudier la mythologie des boiteux donne un sens insoupçonné à bien des oeuvres et motifs, et illustre les recoupements constants qui existent entre « grande » et « petite » mythologie (Frères Grimm). Le « complexe de Jacob » Ŕ ce désir de hauteur et d'ascension qui a pour corrélat la menace permanente de la chute et donc de la blessure Ŕ fonde en effet les polarités fondatrices de nos structurations mentales et que les poètes ne cessent de reformuler à travers les siècles. Le boiteux est porteur d'une ambiguïté ontologique, d'une « déficience qualifiante » (G. Dumézil) : il a mis en gage (ou payé comme tribut) son intégrité physique en vue d'un bien, en l'occurrence l'accès à des sphères inaccessibles aux allures ordinaires ; il a payé de sa boiterie une liberté de mouvement et une légèreté paradoxales. Quant à la dialectique de la quête du ciel et de la descente aux enfers, elle sera élucidée par le truchement d'une image : le jeu de la marelle, à la fois labyrinthe et petite échelle de Jacob, qui constitue tout à la fois le chiffre et la clef de cette étude : on ne peut atteindre le ciel qu'à cloche-pied. Problématiques Les problèmes de pied, dans toute l'amplitude des déplacements métaphoriques possibles, se trouvent dans bien des trames mythologiques et littéraires ; toujours, la boiterie est causée par une blessure, le plus souvent une chute, qui sanctionne une faute d'hybris. Nos principaux repères en découlent : le haut et le bas, la lumière et les ténèbres, la droite et la gauche, l'intègre et le tordu, couples qui disent tous la menace perpétuelle que constitue la précarité de l'équilibre humain. Or, la boiterie est fondamentalement une affaire entre terre et ciel ; la déchéance du genre humain, à la suite de l'expulsion du Paradis, est ainsi signifiée par la morsure que le serpent a infligé à Ève, blessure devenue héréditaire : le scénario de la chute se répète et s'actualise perpétuellement, à l'instar du destin de Lucifer qui a fini en diable boiteux. La boiterie est échue, de même, à ces démiurges originels que sont les forgerons antiques, enfin, à toutes sortes de créatures obliques aux allures ambulatoires singulières qui ont des accointances avec un monde par-delà les frontières de notre univers. La boiterie renvoie surtout au boiteux patriarche Jacob qui a affronté l'Ange à la lutte juste après avoir contemplé une échelle dressée contre le ciel sur laquelle montaient et descendaient des créatures ailées. Or, déchiffrer le sens de scénarios mythiques exige que l'on pense par images. La marelle, petite échelle de Jacob